Scandale à l'ULB : la conséquence d'une vision élitiste de l'enseignement

Lundi dernier, un document de 97 pages créé par le Bureau des Etudiants en Médecine de l’ULB sortait dans la presse. On pouvait y découvrir le quotidien glaçant des étudiant.e.s en sciences dentaires, et le harcèlement, les insultes, le sexisme et le racisme qui y vivait. Ce samedi 8 juin, on apprend que le problème s’étend aussi à d’autres facultés.

Ce qui se passe aujourd’hui en faculté des sciences dentaires fait scandale, et à raison. Des étudiant.e.s insulté.e.s, harcelé.e.s, victimes de sexisme. Un rapport de 97 pages fait état de comportements scandaleux de la part de certain.e.s professeur.e.s et assistant.e.s. En BAC3, 60% des étudiant.e.s interrogé.e.s déclarent avoir "souvent" été victimes de mauvais traitements. Le racisme y est aussi présent : "Les Africains se ressemblent tous", "Les Africains sont lents", "De toute façon, un Arabe ça ne peut pas se servir de ses mains". Cela va jusqu’à des coups de poing pendant les TP et des agressions au visage.

« L’ULB savait »

L'ULB a d'abord nié être au courant des faits mais les autorités ont vite dû faire marche arrière. De nombreux.es étudiant.e.s ainsi qu’un ancien assistant ont vite confirmé que l’Université était au courant depuis longtemps : « Ils savaient TRES BIEN ce qu’il se passe en dentisterie depuis des années puisque tout était dans ma lettre de démission et que j’ai été convoqué par les autorités pour m’expliquer sur ce que j’avais écrit. J’ai démissionné de mon poste d’assistant en septembre, rien n’a visiblement été fait depuis. » Une ancienne étudiante était allée voir le vice-recteur aux affaires étudiantes Alain Levêque en octobre 2018, pour demander une dérogation après avoir été déclarée non finançable. Elle avait un certificat médical qui décrivait un "épisode de tétanie et d’hyperventilation durant travaux pratiques" et a raconté ce qui se passait au sein des sciences dentaires. Elle n’a obtenu comme réponse que des commentaires généraux sur la difficulté des études de dentisterie.[1] Le recteur Yvon Englert parle maintenant d’un « rapport précédent qui n’a pas été pris en compte ».[2]

Mais le problème va plus loin que les seules études de dentisterie. Le BEA (conseil étudiant de l’ULB) a lancé une enquête dans toutes les facultés cette semaine. Ce samedi 8 juin on apprend déjà dans le Soir que la situation dans les stages en médecine est aussi loin d’être rose. Sexisme, racisme, dénigrement, … 57, 4 % des étudiant.e.s sondé.e.s affirment avoir subi des agressions verbales au moins une fois. Des comportements qui ne sont pas clairement sans lien avec le haut taux de dépression et de burn-out chez les étudiant.e.s de médecine…

Cet élitisme qui gangrène l’enseignement

L’ULB doit agir, et vite. Il n'est pas normal que des étudiant.e.s arrivent en TP avec la peur au ventre. Il n'est pas normal que la situation soit grave au point que les étudiant.e.s aient peur de témoigner. Mais il faut aussi se poser la question de savoir comment le harcèlement, le dénigrement constant peuvent émerger et se maintenir. En dentisterie mais aussi en médecine, à Solvay, des voix s'élèvent et continueront à le faire. Il devient clair qu’il ne s'agit pas que de quelques pommes pourries mais d'un système qui permet le maintien de comportements qui poussent les étudiant.e.s à l’échec et à l’abandon.

Après des années de lutte du mouvement étudiant pour démocratiser l’enseignement, les idées élitistes refont de plus en plus surface. « Nous ferons en sorte que l’on arrête de faire croire que l’université est la solution pour tout le monde », a dit Emmanuel Macron en 2018. Bert van der Zwaan, président de la League of European Research Universities, ne dit pas autre chose. Il plaide pour une plus grande sélection des étudiants et estime « qu'il y a trop d'étudiants à l'université qui n'y ont pas leur place, que ce soit sur base de leurs intérêts ou de leurs talents » [3] En dentisterie, un professeur a ciblé une étudiante en plein cours : « Qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’as pas ta place en dentisterie. Ce n’est pas de la méchanceté, c’est la réalité. »[4] A force, ces idées s'intègrent et renforcent l’idée qu’il faut sélectionner seulement les meilleurs, ceux qui résistent au stress constant, à la pression, aux insultes, etc. Cette soi-disant nécessité de ne garder que les meilleurs est renforcée par le sous-financement chronique de l’enseignement supérieur qui empire les conditions d’étude et d’enseignement.

Ce retour de l’élitisme ne vient pas de nulle part. Il s’inscrit dans la vision de l’enseignement en Europe, portée par le processus de Bologne. A l’aube de l’an 2000, l’Europe veut devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Les réformes de Bologne veulent harmoniser l’enseignement européen et « rendre les universités et écoles supérieures européennes plus compétitives et plus attrayantes vis-à-vis du reste du monde. Le processus veut renforcer la modernisation des systèmes d’enseignement et de formation, en veillant à ce qu’ils répondent aux besoins d’un marché du travail en pleine évolution. ».

L’Europe fait alors le pari de créer d’un côté de larges masses de gens formés à l’utilisation des langues, des nouvelles technologies, etc, et de l’autre une élite qui créera l’innovation technologique nécessaire à l’Europe pour se développer économiquement. L’enseignement n’a alors plus pour vocation de créer des citoyens, susciter la réflexion sur le monde ou servir les besoins de la société dans son ensemble, mais ceux du marché du travail. La conséquence, c’est que pour répondre aux deux buts de Bologne, l’enseignement subit logiquement une dualisation. D’un côté on voit se créer des centres d’excellence qui veulent former les meilleur.e.s étudiant.e.s et avoir les meilleurs chercheur.euse.s. Et de l’autre, une masse d’étudiant.e.s qui reçoivent un enseignement de qualité médiocre. Aujourd’hui, les universités jouent des coudes pour appartenir à la première catégorie, qui garantit un meilleur financement (souvent privé). L’ULB joue aussi et veut prendre sa place d’université de capitale de l’Europe. Dans le contexte austéritaire aujourd’hui, le sous-financement est alors utilisé pour justifier un retour à l’élitisme. Sans argent, la solution est de sélectionner, par une augmentation du minerval ou des tests à l’entrée. Ou en triant directement pendant les études. Les « cours à pète » sont monnaie courante dans les premières années de bachelier. Le stress, les deadlines courtes, tous ces outils sont utilisés pour faire fuir les étudiant.e.s vu.e.s comme plus faibles, ou qui n’ont simplement par leur place dans la nouvelle Université de l’excellence. Et c’est particulièrement vrai pour les femmes ou les jeunes issu.e.s de l’immigration et/ou des quartiers plus pauvres.

Ce qui se passe en dentaires et en médecine est la conséquence prévisible d’un système érigé dans le but de construire des universités d’excellence. Mais finalement, tout le monde sera perdant à ce jeu. Les étudiant.e.s, les médecins, la société. Comac lutte pour un enseignement au service de la société dans son ensemble. Qui forme des médecins, des dentistes, pas qui les fait fuir. L’ULB doit lutter contre ces comportements en mettant en place des réels mécanismes de signalement des abus et en prenant au sérieux les évaluations des étudiant.e.s, souvent ignorées. Mais tant que l’université sera vue avant tout comme une machine au service de l’économie de marché, ces comportements perdureront, sous une forme ou une autre. On a plus que jamais besoin d’un changement profond de paradigme. Vers un enseignement inclusif, ouvert à toutes et tous et qui investit pour la réussite. Un enseignement de la réussite et pas de l’échec, qui permet de former des citoyens et des citoyennes capables de prendre en main les grands défis de notre société.

[1] https://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/detail_harcelement-en-dentisterie-que-savait-au-juste-l-ulb?id=10238182

[2] https://www.facebook.com/watch/?v=1291529137682357

[3] https://www.demorgen.be/nieuws/utrechts-rector-bert-van-der-zwaan-veel-studenten-horen-niet-thuis-aan-de-universiteit~b3b3105f/

[4] https://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/detail_une-enquete-denonce-du-harcelement-systematique-en-sciences-dentaires-a-l-ulb?id=10237243


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