Pourquoi les étudiant·e·s ont raison de s’opposer à un confinement intenable et injuste

Depuis le début de la crise, les actes et les choix du gouvernement révèlent plus que jamais leur vision de la société et de l'enseignement. Les lobbys économiques mènent la danse et notre vie sociale continue d’en faire les frais. La précarité et le mal-être des étudiant·e·s sont constamment sous-estimés, voire normalisés. Et la seule réponse au décrochage scolaire est de nous dire de “garder le rythme”. Depuis des semaines les étudiant·e·s se mobilisent et rejettent un confinement intenable et injuste. A Mons, Louvain-la-Neuve, Bruxelles, Namur, les cris de révolte sont les mêmes : “On n’en peut plus et on continuera à se faire entendre”.

Après une année entière isolé·e·s, à suivre des cours toute la journée devant leur ordinateur, la santé mentale des étudiant·e·s est au plus bas. Leur motivation aussi. Une récente étude de Sciensano (institut belge de santé publique) montre que les troubles anxieux et dépressifs ont fortement augmenté chez les jeunes de 18 à 24 ans par rapport à l’année 2018. « Je me sens démesurément seule et ma santé mentale se dégrade chaque jour. J’hésite à m’envoyer à l’hôpital pour que tout s’arrête », témoigne une étudiante.

La qualité de l’enseignement souffre aussi du tout-au-distanciel. Manque de contact avec les profs, difficultés techniques, difficulté du travail pratique, manque d’un lieu de travail calme… Les cours en ligne devaient être une solution temporaire. Ils sont maintenant tout ce qu’a connu une partie importante des étudiant·e·s de l’enseignement supérieur depuis un an. Résultat : 60% des étudiant·e·s du supérieur se sentent complètement ou partiellement en décrochage scolaire. Cette situation est encore aggravée par l’explosion de la précarité étudiante avec la crise : 90 000 étudiant·e·s ont perdu leur job et beaucoup de familles ont vu leurs revenus diminuer.

Les étudiant·e·s rejettent un confinement intenable

Lutter contre le virus doit évidemment rester une priorité, mais la stratégie actuelle du gouvernement est intenable. Celle-ci peut se résumer à un simple interrupteur qui alterne entre confinement et déconfinement. On confine, on déconfine, on reconfine, on déconfine. Une stratégie qui consiste à ‘danser avec le virus’, avec pour objectif d’éviter la saturation des hôpitaux, au lieu d’adopter la stratégie de nombreux pays asiatiques qui développent des mesures ciblées pour réellement maîtriser l’épidémie. Les experts disent d’ailleurs que la méthode la plus efficace pour lutter contre le virus est de tester, tracer et isoler (TTI). Mais un an après le début de la pandémie, le testing en Belgique reste chaotique. Une stratégie TTI efficace nous aurait permis d’éviter un confinement aussi long, et qui semble interminable. On assiste aussi au fiasco de la campagne de vaccination. Les brevets sur les vaccins empêchent la production de quantités suffisantes, mais le gouvernement refuse de rendre ces brevets publics alors même que les multinationales pharmaceutiques ont été arrosées d’argent public pour créer les vaccins.

La politique de confinement n’est d’ailleurs pas uniquement sanitaire, mais dépend également de lobbys. Alors que 40% des clusters (les foyers d’infection) se trouvent dans les entreprises, les fédérations patronales exercent une pression intense pour que leurs intérêts économiques priment sur la vie sociale, culturelle, et même sur la santé de la population. Pieter Timmermans, le président de la Fédération des Entreprises Belges (FEB) était même allé jusqu’à affirmer que le lieu de travail était “l’endroit le plus sûr pour ne pas être contaminé”. « Le pognon était maître pour les ministres, au détriment parfois de la santé et c'est ce qui fait qu'on en est là aujourd'hui, dénonce Céline Nieuwenhuys, ancienne membre du groupe d’expert·e·s en charge de la stratégie de déconfinement. Je savais qu'on était dans une société où l'argent est maître, c'est le capital qui décide à la place du politique. Je le savais théoriquement, mais là je l'ai vu, et j'en ai été bouche bée ». Afin de garder le robinet de l’activité économique des grandes entreprises grand ouvert, le gouvernement ferme strictement le robinet de la vie sociale, culturelle et des secteurs jugés “non-essentiels”. Les jeunes, la culture, les petits indépendants et la population dans son ensemble payent le prix fort de cette politique. Avec des conséquences concrètes sur les étudiant·e·s mais aussi sur la santé mentale de toute la population. “Métro, boulot, dodo”, ce n’est pas une vie. Le gouvernement “s’étonne” ensuite de rassemblements illégaux comme ceux dans le parc de la Boverie, à Liège. Le gouvernement appelle sans arrêt à la responsabilité individuelle, sans un mot sur l’échec de leur politique qui empêche la jeunesse d’entrevoir des perspectives.

Après un an de confinement, de nombreuses mobilisations étudiantes ont lieu ces dernières semaines dans tout le pays tandis que de nombreux acteurs et actrices de l’enseignement tirent la sonnette d’alarme, forçant la ministre de l’enseignement supérieur Valérie Glatigny (MR) et le gouvernement à concéder un retour à 20% en présentiel. Un premier pas, mais qui risque au final de poser plus de problèmes qu’il n’en résout. Les premiers témoignages des étudiant·e·s vont dans ce sens : « Absolument rien ne change pour moi », pointe Anna. « On reçoit des infos d’un peu partout mais ce n’est pas très clair », explique une autre étudiante. Des problèmes qu’avaient déjà prévu fin février des universitaires et associations étudiantes qui signaient alors une carte blanche appellant à un retour au code jaune (50% de présentiel). Et s’inquiétaient déjà que 20% serait difficile à appliquer et apporterait trop peu de résultats. Ils s’appuient sur une étude allemande qui démontre qu’un auditoire fréquenté avec distanciation et masque est deux fois moins risqué qu’un centre commercial bondé et trois fois moins risqué que dans un train. Le retour en code jaune (50% de présentiel) et l’ouverture d’activités cuturelles et sportives est possible tout en continuant de lutter contre le virus.

“Gardez le rythme”, et puisse le sort vous être favorable

« Je n’ai pas une bonne connexion wifi, j’ai peur de rater des infos à chaque fois qu’elle se coupe », raconte Émilie. Pour Thomas, « C’est impossible de m’isoler chez moi. Je dois suivre les cours en ligne dans la cuisine. » 60% des étudiant·e·s s’estiment partiellement ou complètement en décrochage et plus de 20 000 n’ont pas accès à un lieu calme pour étudier. La réponse de la ministre de l’enseignement supérieur Valérie Glatigny? “Gardez le rythme”, ou encore “L’enseignement supérieur est une école de vie. Tout le monde ne gagne pas à la fin”. 

Le discours et la politique de la ministre révèlent sa vision élitiste de l’enseignement. Son manque d’action construit un enseignement du “chacun·e pour soi”, où ceux et celles qui n’arrivent pas à s’en sortir pendant cette crise seraient jugé·e·s incapables de gagner au jeu de “l’école de la vie”. Or, la crise montre mieux que jamais que ce jeu est truqué : suivre les cours devient tout de suite plus compliqué quand on n’a pas d’endroit calme où étudier. Sans compter les problèmes de santé mentale et le manque de matériel technique. Nombreux·ses sont ceux qui ont décroché, pas parce qu’iels ne sont pas capables de réussir, mais à cause des conditions matérielles dans lesquelles iels sont forcé·e·s d’étudier.

Pour Comac, aucun.e étudiant.e ne devrait avoir à arrêter ses études en raison de la crise et de la situation exceptionnelle que nous vivons. C’est pourquoi nous revendiquons la garantie de la finançabilité pour toutes et tous l’an prochain, comme les étudiant.e.s l'ont déjà obtenu par la mobilisation pour cette année 2020-2021. 

En finir avec la précarité étudiante

« On m’a mise à la porte de mon boulot au début de la crise. Mon compte épargne est passé de 2000€ à moins de 500 en quelques mois. Est-ce que le gouvernement se rend compte de la situation que nous vivons ? » témoigne Mathilde. Avec la crise corona, la précarité a explosé : 90 000 étudiant·e·s ont perdu leur job et de nombreuses familles ont vu leurs revenus se réduire. 

Mais la précarité étudiante n’est pas soudainement apparue avec la crise corona. En 2006, 7500 étudiant·e·s étaient bénéficiaires du CPAS. En 2019 déjà, ce chiffre avait été multiplié par 3. Aujourd’hui, 80 000 étudiant·e·s francophones vivent dans la précarité, beaucoup même sous le seuil de pauvreté. Une précarité alimentaire mais aussi menstruelle : des milliers de femmes en Belgique ont une difficulté d’accès aux protections hygiéniques. Une situation inacceptable sur laquelle Comac agit concrètement en distribuant notamment des colis alimentaires solidaires et des protections hygiéniques gratuitement sur les campus du pays. Une solidarité essentielle, mais qui ne suffira pas à régler les problèmes structurels.

La ministre Glatigny connaît les chiffres de la précarité. Pourtant, ses mesures se sont bornées à renvoyer les étudiant·e·s vers les banques alimentaires et les CPAS. Elle défend par là une vision de société libérale du “chacun·e pour soi”, et où la norme devient d’être pauvre quand on étudie, ou de devoir contracter un prêt pour étudier - comme c’est aujourd’hui le cas aux États-Unis. Il est impensable qu’une telle situation existe dans un pays riche comme la Belgique. Il existe des mesures structurelles et concrètes à prendre : réduire le coût du minerval, augmenter les bourses, appliquer la gratuité des supports de cours. C’est ce que demandent les étudiant·e·s : diminuer le minerval est important pour l’immense majorité des étudiant·e·s dans la lutte contre la précarité.

La réduction drastique de revenus engendrée par la perte d’un job étudiant fait très mal. Beaucoup en dépendent pour payer leurs études, leur logement et leurs factures. Dès le début de la crise, Comac a demandé que le chômage économique soit étendu à tous les salarié·e·s, y compris les jobistes. Leurs revenus devraient être garantis à 100% dans un temps de crise comme celui-ci. Cette proposition était soutenue par un large front d’organisations dont plusieurs jeunesses syndicales, Écolo J et le Mouvement des Jeunesses Socialistes. Le Parti Socialiste (PS) avait même déposé une proposition de loi dans ce sens quand ils étaient toujours dans l’opposition. Le président du PS Paul Magnette a encore promis en février de défendre cette proposition mais les actes se font encore attendre.

Le chômage étudiant et des aides d’urgence sont importantes pour répondre à la crise corona aujourd’hui. La réduction du minerval est une mesure structurelle pour apporter une véritable réponse à la précarité qui explose depuis des années. C’est pour cela qu’on continue de se mobiliser et de mettre la pression pour les obtenir.

Tenir tête

2020 n’était pas une année normale. 2021 ne l’est pas non plus. Depuis le début de la crise, la ministre de l’enseignement supérieur francophone Valérie Glatigny minimise les nombreux signaux d’alarme d’associations étudiantes. Les actes et les choix du gouvernement révèlent plus que jamais leur vision de la société. Les lobbys économiques mènent la danse et notre vie sociale continue d’en faire les frais. La précarité et le mal-être des étudiant·e·s sont constamment sous-estimés, voire normalisés. Et la seule réponse au décrochage scolaire est de nous dire de “garder le rythme”.

 

Les mobilisations actuelles doivent nous permettre d’y apporter une alternative. Avec Comac, nous revendiquons: 

🟡 Repasser au code jaune (50% de présentiel) et déconfiner notre vie sociale. C'est possible tout en continuant de lutter contre le virus.

💰 Baisser le coût du minerval et étendre le chômage temporaire aux jobistes pour lutter contre la précarité.

👩‍🎓 Garantir la finançabilité pour toutes et tous l'année prochaine afin de pouvoir permettre à tout·e étudiant·e de pouvoir continuer ses études en cas d’échec.

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