J'ai participé aux grandes manifestations et aux grèves climatiques de l'année dernière parce que notre gouvernement doit prendre des mesures urgentes pour sauver le climat. Mais je ne suis pas favorable à des taxes "vertes" comme la taxe carbone proposée par la ministre du climat Zakia Khattabi (Ecolo). Plutôt que de faire payer l'ensemble de la population, nous devons nous attaquer aux grands pollueurs.
Le raisonnement qui sous-tend la taxe sur le carbone est assez simple. La nature rapporte beaucoup d'argent, mais polluer ne coûte rien. Pour y remédier, il faudrait mettre un prix sur cette pollution, mesuré en émissions de CO2. De cette façon, en ajustant les prix du marché, on peut réduire les émissions. C'est logique, non? Mais en réalité, la taxe carbone de la ministre Khattabi est injuste, et elle ne servira pas à grand-chose.
Une taxe injuste qui ne résout pas grand-chose
"D'importantes démarches préparatoires visant à instaurer un prix carbone ont déjà été accomplies au cours de la précédente législature", écrit-elle dans son exposé d'orientation politique [1]. De cette manière, elle indique qu'elle se base sur les recherches initiées par sa prédécesseure libérale Marie-Christine Marghem (MR). La proposition modérée dans ce scénario est une taxe carbone qui commence à 10 euros par tonne de CO2 et passe à 70 euros par tonne d'ici 2030. Elle serait prélevée sur des produits de première nécessité comme l'essence, le diesel, le mazout ou le gaz et coûterait en moyenne 281 euros par an par famille. Madame Khattabi promet cependant que sa taxe carbone sera liée "aux mesures nécessaires pour garantir que la tarification soit socialement équitable". Sur sa page Facebook, la ministre a également tenu à préciser que la taxe sera budgétairement neutre et qu'elle "sera reversée intégralement aux citoyens et aux entreprises par un dividende climat". Le flou qui entoure cette proposition reste cependant peu rassurant.
Mais surtout: ce genre de taxes ne nous aidera pas à répondre au défi climatique. La taxe carbone est non seulement injuste, mais aussi totalement inefficace. Des choses comme se déplacer ou consommer de l'énergie ont une faible élasticité-prix. Cela signifie que vous pouvez faire monter le prix, la demande pour le produit ne diminuera que très peu. Les personnes dont les maisons sont mal isolées ne cessent pas soudainement d'y vivre. Les personnes qui ont besoin d'une voiture polluante pour aller travailler ne vont pas soudainement arrêter de se déplacer. Et les personnes aisées qui ne ressentent pas la taxe aussi durement peuvent continuer à polluer facilement. L'idée que le pollueur paie devient rapidement "le payeur peut polluer".
Ce dont nous avons besoin pour réaliser la transition climatique, c'est d'une part de s'en prendre aux véritables gros pollueurs, et d'autre part d'investissements publics massifs.
Osons nous en prendre aux véritables gros pollueurs plutôt qu'aux citoyens
En Belgique, cinq multinationales sont responsables de 20 % des émissions, soit presque autant que les ménages de 11 millions de Belges réunis [2]. En France, on observe une situation similaire: les 40 plus grandes multinationales françaises sont responsables de 5% des émissions mondiales [3]. En 2019, elles ont émis ensemble autant que la Russie.
Les grandes entreprises en Belgique sont déjà soumises au système européen d'échange de quotas d'émission (ETS), mais ce système est totalement inefficace. Ce système fixe un plafond d'émission pour certaines entreprises. Chaque année, ce plafond a baissé de 1,74 % et, depuis janvier, de 2,2 %. Ces entreprises reçoivent ensuite des droits d'émission qu'elles peuvent échanger entre elles. Une entreprise qui émet moins que le plafond peut vendre ces quotas à une entreprise qui veut en émettre plus. En Belgique, 304 entreprises sont couvertes par le système. Résultat? Ce système a ouvert un nouveau commerce pour les grandes entreprises et les spéculateurs, mais n'a pas pour autant contribué à réduire sensiblement les émissions. Zakia Khattabi ne remet malheureusement pas ce système en question dans son exposé d'orientation politique, tandis que la taxe carbone touche tout le monde, sauf précisément les plus gros pollueurs.
Ce système d'échange de quotas d'émission (ETS) doit être remplacé par des normes contraignantes de réduction des émissions pour les grandes entreprises si nous voulons atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.
Changer nos comportements est une question collective, pas individuelle
Si nous voulons atteindre la neutralité climatique, il est essentiel que nos comportements changent. La question énergétique joue en effet un rôle clé ici: nous devons d'une part réduire notre consommation d'énergie, et d'autre part passer à l'énergie renouvelable. Mais contrairement à un mythe très répandu, il ne s'agit pas d'une question individuelle mais collective.
Faire tourner notre pays entièrement au renouvelable implique des investissements publics massifs dans le photovoltaïque et l'éolien, et nécessite également des investissements dans l'isolation des habitations et bâtiments, dans des transports publics gratuits et de qualité, dans des réseaux urbains de chauffage et de refroidissement qui utilisent la chaleur résiduelle industrielle et rendent inutiles les chaudières et les systèmes de climatisation individuels dans les villes, etc pour réduire notre consommation d'énergie. Selon le Bureau fédéral du Plan, cela représente au moins 10 milliards d'euros par an pour la Belgique. Une taxe carbone visant les comportements individuels n'apporte aucune réponse à ce défi.
Pour réaliser cela, nous avons besoin d'un plan à la Alexandra Ocasio-Cortez aux Etats-Unis. Un plan d'investissements publics massifs pour réaliser une transition écologique et sociale. Dans son nouveau livre "Ils nous ont oubliés", Peter Mertens, le président du PTB, plaide pour une idée similaire: le plan Prométhée. Ce plan vise à reconstruire les économies européennes d'une manière sociale et écologique. Grâce notamment à un impôt européen sur la fortune des super-riches, l'Europe peut mobiliser des milliards pour réaliser des investissements publics dans l'énergie verte, l'isolation des maisons et des bâtiments, les transports publics, les transports, mais aussi le secteur des soins ou les entreprises publiques numériques. C'est un plan qui rompt avec la logique du marché, fait payer les grands pollueurs et intervient lui-même pour sauver le climat. Et cela crée beaucoup de nouveaux emplois, car il faudra beaucoup de personnes pour réaliser tous ces plans.
C'est avec ce genre de plans que nous pourrons enthousiasmer la jeunesse et la population, pas avec des taxes "vertes". Au contraire, ce genre de taxes pousse les gens dans les bras des climatosceptiques. Je n'ai pas seulement manifesté pour mettre le climat à l'agenda. Je l'ai fait aussi afin qu'un plan social et ambitieux puisse enfin être élaboré. C'est urgent.
Par Octave Daube, Porte-parole de Comac (mouvement étudiant du PTB)