INAMI : Comment empêcher le gouvernement d’aggraver la pénurie de médecins ?

500 étudiants en médecine ont manifesté ce 16 février. Ils protestent contre un projet de réforme du ministre fédéral de la Santé Vandenbroucke. Si ce projet passe, ou toute nouvelle sélection à l’entrée des études comme un concours, la pénurie de médecins risque de s’aggraver. Comme si le gouvernement ne tirait aucune leçon de la crise du Covid. Mais que contient précisément cette réforme ? Comment faire barrage et quelles alternatives ?

Fiona Pestieau

Le projet de loi de Vandenbroucke

Bientôt aura lieu le vote du nouveau projet de loi du ministre Frank Vandenbroucke demandant le respect strict des quotas. Aujourd’hui, on donne à tout étudiant en médecine son numéro INAMI à la fin de ses six années d’études, sauf en cas d’opposition du fédéral. Ce qui n’est jamais arrivé.. Si la loi passe, aucun numéro INAMI ne sera attribué tant que le fédéral n’aura pas donné son accord. La logique est complètement renversée. Concrètement, selon les estimations, d’ici 2024, les universités belges devraient diplômer entre 100 et 400 médecins de trop par rapport à ces quotas. Mais limiter encore plus le nombre de diplômés en médecine est absurde, que ce soit avec la proposition de Vandenbroucke ou celle du MR et de la ministre Glatigny avec l’instauration d’un concours limitant strictement l’entrée aux études. La pénurie de médecins touche tout le pays, quoi qu’ils en disent.

Il faut entre trois mois et un an pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste. Trois communes flamandes sur quatre et une commune wallonne sur deux sont “pauvres en médecins généralistes”. Moins de numéros INAMI, c’est moins de médecins. C’est l’opposé de la leçon principale de la crise covid : il faut renforcer nos soins de santé et en particulier la première ligne. Lors de la rencontre avec la délégation des étudiants en médecine de l’action de ce mercredi 16 février, le ministre a dit bien vouloir céder plus de numéros INAMI mais ça uniquement en échange de concessions. Mais quelles concessions ?

Durcir la sélection à l’entrée 

L’année passée, les médecins assistants se mettaient en grève pour demander une diminution de la pression dans leur travail et une revalorisation de leur statut. "Le travail à l'hôpital, ce sont de longues heures, il y a des moments où vous vous levez la nuit vous avez fait 24 heures et vous vous dites : j’espère que ce ne sera pas moi qu’on suturera à cette heure", expliquait Jordan Marcelis, assistant en chirurgie. Georges-Louis Bouchez, le président du MR a annoncé dans la presse que son parti demandait la mise en place d’un concours d’entrée à la place de l’examen d’entrée actuel. Selon lui un filtre est nécessaire pour la qualité des études. Ce n’est pourtant pas ce que montre la grève des assistants. Un enseignement où on est peu accompagné, tout le temps débordé et fatigué à cause des horaires beaucoup trop chargés n’est pas ce qu’on peut appeler un enseignement de qualité. 

Suite à la présentation du projet de loi de Vandenbroucke, le Conseil des recteurs francophones est aussi intervenu dans le débat. Ceux-ci disent  prendre leurs responsabilités pour contrôler l’accès aux études. "Nous plaidons pour organiser l’examen d’entrée en une seule session", annonce le recteur de l’UCLRéduire les deux sessions de l’examen d’entrée à une, c'est durcir celui-ci. Durcir l’examen d’entrée c’est réduire encore plus l’accès aux études de médecine et donc à la profession. “Lors de la dernière édition, ce sont 6.274 personnes qui ont présenté l'examen d'entrée avec un taux de réussite de seulement 8,9% lors de la première session (soit 483 lauréats). La deuxième session avait alors permis d'atteindre un niveau de lauréats plus important, mais toujours trop faible.De manière générale, 73,9% des candidats améliorent leurs résultats lorsqu'ils présentent l'examen une seconde fois, et peu d'étudiants peuvent se permettre d'attendre un an entre le passage de deux épreuves” expliquait le Fédération des étudiants francophones. Or, la crise du Covid a rappelé que l’on a besoin de plus de médecins, pas moins. Ce dont on a besoin, c'est d'une vraie évaluation des besoins pour garantir un accès accessible et démocratique aux soins de santé. Toute nouvelle mesure de sélection à l’entrée des études, que ce soit un concours ou un durcissement de l’examen d’entrée, va à l’encontre des besoins de la population. La demande de Vandenbroucke à la fédération Wallonie-Bruxelles de durcir la sélection à l’entrée n’est pas une solution. Mais alors quelle solution avons-nous ?

Quels besoins ? Planification fédérale, avec renforcement de la 1ère ligne

La crise du Covid a mis en lumière toutes les faiblesses de notre système de soins de santé. Aujourd’hui les médecins généralistes sont de plus en plus âgés et sur les genoux. En 2019, les médecins généralistes habilités à effectuer des prestations étaient âgés de plus de 65 ans, soit 31,5%. ​​Pour 3 médecins partant à la retraite, 1 seul est formé pour le remplacer. Les spécialistes aussi sont touchés par cette pénurie. Il faut en moyenne entre 3 mois et un an pour avoir un rendez-vous. Dans le classement mondial par nombre de médecins pour 1000 habitants, le Belgique se retrouve 31éme juste avant le Kazakstan. Cuba qui est pourtant un pays plus pauvre que le nôtre se retrouve en tête de ce classement.

Il faut plus de numéros INAMI pour tous, que ce soit en Flandre ou en Wallonie. Il ne s’agit pas d’un conflit communautaire. Imposer une restriction de quotas plus forte sur une communauté ou l’autre n’est pas une solution. La crise a également montré qu’on a besoin d’une première ligne forte qui a un rôle essentiel dans le contact avec les gens. On a également besoin d’une planification et d’un financement fédéral car il y a des besoins en médecine des deux côtés de la frontière linguistique.  Notre pays a besoin d’une planification réellement calquée sur les besoins de la population, sur base d’un cadastre dynamique et intelligent de l’offre médicale actuelle et à venir. Ceci ne peut être obtenu qu’à travers un système de planification plus local, en fonction des besoins de zones de soins réellement connectées à la réalité, et en particulier dans le cadre d’une première ligne forte et accessible.

Comment financer plus de médecins ?

Une des raisons de la mise en place d’un contingentement du nombres de médecins pour le gouvernement belge des années 90 était que celui-ci pensait que s'il y avait moins de médecins, les gens iraient moins chez le médecin, et que les coûts de la sécurité sociale seraient donc moins élevés. En 2008, le KCE a pourtant affirmé qu’il n’existait aucune preuve de lien entre le nombre de médecins et la surconsommation des soins. Si vous avez la grippe, allez-vous vous rendre plusieurs fois chez différents médecins, juste parce qu'il y en a plusieurs dans votre commune ?

Actuellement, le système de soins de santé fonctionne à la prestation. C’est-à-dire que les médecins sont rémunérés en fonction du nombre d’actes qu’ils pratiquent et n’ont donc pas un salaire fixe par mois. De par sa nature, ce système mène non pas à une adéquation entre soins et besoins, mais à une médecine à deux vitesses : la surconsommation médicale pour ceux qui peuvent se le permettre financièrement et la sous consommation pour ceux qui ne le peuvent pas.  Il mène aussi à des inégalités absurdes de rémunération entre médecins et empêche les médecins de prendre le temps adéquat avec le patient pour avoir un soin de qualité. 

Un autre aspect est que nous sommes dans un système qui met beaucoup plus en avant la médecine curative plutôt que la médecine préventive. Or, l’avantage de la médecine préventive est qu’elle permet de prendre en charge les pathologies beaucoup plus tôt. Cela permet d’éviter au maximum d’arriver à des stades trop graves de maladies qui d’intervenir de manière plus lourde et qui demande une infrastructure et du matériel qui coûte plus cher. Allier un système de soin préventif avec une médecine non pas de prestation mais plutôt avec une rémunération à salaire fixe permettrait de ne pas gaspiller de l’argent inutilement et de l’utiliser pour avoir plus de médecins. 

Et maintenant ? On se mobilise !

Au mois de décembre, quand nous étions tous plongés dans nos syllabus à étudier, le gouvernement Vivaldi a essayé de faire passer la loi Vandenbroucke. Grâce à la mobilisation de centaines d’étudiants en médecine qui ont envoyé en masse des mails aux parlementaires pour leur demander de voter contre, celle-ci a dû être renvoyée au conseil d’état et donc reporté de plus d’un mois.

Le ministre a toujours souligné « l’urgence » de toutes les questions relatives à cette loi. Pourtant cela fait deux semaines que le projet de loi n’est pas à l’ordre du jour de la plénière et n’est pas discuté. Serait-ce un signe de nervosité de la part du gouvernement ?

En tout cas, la mobilisation des étudiants semble faire son petit effet donc ne relâchons pas la pression et continuons de lutter contre cette réforme et toutes autres réformes qui aggraverait la pénurie de médecins !

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