S’allier avec le grand capital pour sauver le climat, fausse bonne idée ?

En septembre dernier, l’ULB et la VUB ont inauguré une nouvelle chaire en économie circulaire. Pour cela, les deux universités bruxelloises se sont alliées avec la Fédération des Entreprises de Belgique.

Selon leur site Internet, cette chaire vise à « développer des stratégies d’entreprise destinées à faciliter l’économie circulaire ». Les chercheurs mettent ainsi l’accent sur les progrès écologiques qu’elle permettrait. On peut cependant émettre plusieurs critiques sur le caractère innovant et durable de cette formation.

Les multinationales sont responsables du changement climatique

La raison d’être de la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB) est de s’adresser aux politiques, donc de faire du lobbying, de façon à ce que les lois et réglementations soient avantageuses pour les entreprises qu’elle représente. C’est ce qu’elle a fait pour la flexibilisation du marché du travail, la réforme des pensions, et c’est ce qu’elle fait aussi pour le climat.

Ainsi Pieter Timmermans, le PDG de la FEB, a déjà clairement fait savoir quelles sont ses priorités. Selon lui, il serait par exemple « insensé que la Belgique ne fasse des efforts excessifs », en termes de réglementations climatiques. Cela générerait un surcoût pour les entreprises, ce qui serait injuste. C’est ce qu’il affirme dans son article « Climat — Évitons d’être le dindon de la farce ! » En d’autres termes, il encourage l’État belge à revoir à la baisse ses objectifs climatiques, parce que ces derniers sont incompatibles avec la volonté des entreprises de maximiser leurs profits. Pourtant, de nombreuses études montrent que même si nous atteignons les objectifs fixés actuellement, nous nous dirigeons vers une augmentation de la température moyenne mondiale de plus de 2 °C, ce qui aura déjà de terribles conséquences pour notre planète.

En réalité, le discours de Pieter Timmermans n’a rien de surprenant. En effet, la FEB représente entre autres la Fédération Pétrolière Belge, qui défend à son tour les intérêts des filiales de compagnies pétrolières telles que Total, Shell et ExxonMobil. Elles font partie des cent entreprises qui sont responsables de plus de 71 % des émissions de CO2 dans le monde, puisqu’elles dépendent presque entièrement de combustibles fossiles. La FEB a donc tout intérêt à ce que les objectifs climatiques restent peu ambitieux.

Nous ne pouvons pas laisser le climat aux mains du marché

Si ce n’est pas pour sauver le climat, pourquoi la FEB finance-t-elle cette chaire alors ? L’économie circulaire propose de réutiliser les déchets dans le processus de production. En 2015, la Table ronde des industriels européens (ERT) avait déjà clairement expliqué sa position : l’économie circulaire permet de réduire les coûts de production, d’augmenter les profits et de créer un nouveau débouché. En outre, ce n’est un secret pour personne : une pénurie de matières premières menace de survenir vers 2030. Les entreprises doivent évidemment anticiper cela, et elles voient dans l’économie circulaire une possibilité d’assurer leurs bénéfices.

La collecte des déchets peut tout à fait être prise en charge par une agence publique comme Bruxelles-Propreté. Cette institution fut cependant accusée de « concurrence déloyale » en mars 2017 par Go4Circle, la fédération des entreprises de l’économie circulaire. En effet, Bruxelles-Propreté collectait les déchets industriels, qui pourraient représenter une matière première rentable pour les entreprises qui s’engagent sur la voie de l’économie circulaire. Depuis lors, Bruxelles-Propreté a perdu 1,5 milliard € de subventions. Si on fait de l’économie circulaire avec des entreprises, les déchets deviennent une marchandise soumise aux caprices du marché. Dans ce sens, cette situation serait comparable avec les droits d’émission, ces « permis de polluer » qui n’ont fait que créer un nouveau marché, sans permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au contraire, les émissions n’ont cessé d’augmenter.

On a tenté à de nombreuses reprises de laisser le marché encadrer la lutte contre le réchauffement climatique. Ce fut systématiquement un échec. La volonté des entreprises de générer des profits est inconciliable avec un modèle de société dans lequel la priorité serait la réduction et la durabilité de la production. Pour inverser la tendance, une planification écologique à grande échelle est nécessaire. Si nous voulons y arriver, nous devons décider collectivement quelles mesures prendre, et cesser de donner la priorité aux profits.

L’enseignement au service de la société

Les multinationales n’ont pas à cœur le bien-être de la société. Seuls leurs profits ont un intérêt à leurs yeux. Si le monde universitaire laisse les plus grandes entreprises financer et avoir un droit de regard sur ses recherches, il ne pourra donc plus garantir que son travail bénéficie à la société dans son ensemble. En effet, si les résultats d’une étude vont à l’encontre des intérêts des entreprises, ces dernières cesseront de la financer. Dans ce cadre, mener une étude en toute objectivité est impossible. C’est pourquoi les universités doivent pouvoir continuer à faire de la recherche indépendamment des multinationales.

De plus, les universités doivent jouer le rôle de pionnières dans la résolution du problème climatique. C’est une bonne chose que l’ULB et la VUB étudient l’économie circulaire, mais elles devraient le faire indépendamment de la FEB. En effet, ces institutions académiques doivent pouvoir garantir que les recherches qu’elles mènent pourront contribuer à la lutte contre le changement climatique. Notre planète doit passer avant leurs profits !


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