Réforme du calendrier académique : la fausse solution de Valérie Glatigny

Octave Daube - Fiona Pestieau

Récemment, la ministre Valérie Glatigny est sortie dans la presse avec sa nouvelle idée de réforme pour l’enseignement supérieur : revoir de fond en comble le calendrier du supérieur et ainsi favoriser la réussite des étudiants. Mais qu’en est-il vraiment ? Quelle vision de l’enseignement Glatigny défend-elle avec cette réforme ? Et surtout, ​​comment faire pour, effectivement, améliorer la qualité et l'accessibilité de notre enseignement ?

Mais d’abord en quoi consiste ce nouveau calendrier qui va changer la vie de tous les étudiants ? Plusieurs grands points vont changer. D’abord, l'année commencera fin août et la fin du premier quadrimestre aura lieu juste avant les vacances de Noël. A la place du blocus de Noël actuel, les étudiants auraient deux semaines de congé. Ensuite, le second quadrimestre reprendrait juste après et se terminerait mi-mai. Mais sans doute le plus gros changement : la seconde session s'enchaîne deux semaines après pour finir à la mi-juillet. En résumé, des périodes de cours plus condensées qu’avant, des périodes d’examens plus condensées qu’avant mais en contrepartie, plus de temps pour de vraies vacances. 

De quoi souffre l’enseignement supérieur?

L'argument principal de Glatigny pour sa réforme est louable : améliorer le taux de réussite des étudiants. Qui pourrait s’opposer à ça? Mais avant de se ruer sur une réforme avec de grandes implications pour la vie de plus de 200.000 étudiants, peut-être devons-nous nous poser la question suivante : quelles sont les causes réelles de l’échec dans l’enseignement supérieur et de quoi souffre-t-il ?

Actuellement, un des plus gros problèmes de notre enseignement c’est qu’il manque cruellement de moyens. En 2020, l’Echo annonçait qu'avec la crise du Covid les universités francophones avaient besoin d’un refinancement de 57 millions d’euros en plus des 50 millions d’euros annuels déjà réclamés pour stopper le dé-financement. Ce sous-financement chronique est dû au fait que le budget de l’enseignement reste coincé dans une enveloppe fermée alors que le nombre d'étudiants, lui, n’a jamais cessé d’augmenter. On doit faire plus avec toujours les mêmes moyens. Une situation intenable qui entraîne un tas de conséquences néfastes. 

On peut, par exemple, regarder le taux d’encadrement : ce qui permet de mesurer à quel point un étudiant est encadré par des professeurs et assistants, à quel point il peut poser ces questions, etc. A l’ULB, là où le nombre d’étudiants entre 2014 et 2021 a augmenté de 30%, l’effectif total du personnel académique et scientifique (qu’on compte en équivalent temps plein) a, lui, sensiblement diminué. Cela a entraîné une chute du taux d’encadrement par étudiant de 24% par les corps académiques et scientifiques. Avec un pareil chiffre, on est en droit de se poser des questions sur la qualité de notre enseignement et sur comment cela nuit à la réussite des étudiants.

L’encadrement est, en effet, quelque chose d’essentiel à la réussite des étudiants. Comment écouter correctement un cours s'il n’y a pas assez de places assises dans les auditoires ? Comment poser des questions aux professeurs ou assistants quand ceux-ci sont débordés avec le nombre d’étudiants qu’ils ont à gérer ? Comment étudier dans de bons syllabus si les enseignants n’ont pas le temps de les écrire correctement ? 

Pour permettre un encadrement qualitatif il n’y a pas trente-six-mille solutions : il faut investir et mettre les moyens. Investir dans de meilleures infrastructures, investir pour engager plus de professeurs, d’assistants et de personnel académique, investir pour avoir des classes plus petites où chacun peut poser ses questions, etc. 

L’autre grande difficulté que les étudiants connaissent, on peut la résumer en un chiffre : un étudiant qui job pendant ses études a 43% de chances en moins de réussir. Quand on sait qu'un étudiant sur deux a un job et qu’un sur quatre le fait pour payer ses études, il y a matière à se poser des questions. Comment peut-on prétendre vouloir augmenter la réussite si on ne résout pas le problème des 25% d’étudiants qui sont obligés de travailler sans quoi ils ne pourraient même pas poursuivre leur cursus?  

La vie d’un étudiant, ça devrait être les cours, les examens bien-sûr et aussi tout ce qu’il y a autour. La vie étudiante, festive, politique, associative sont aussi importantes pour nos campus. C’est une richesse qu’il faut pouvoir continuer à entretenir. Mais comment maintenir une vie sociale entre les heures et les heures de jobs et les cours qu’il faut essayer de rattraper ? La place d’un étudiant, ça devrait être avant tout sur le campus.

Pour en finir avec cette situation, il faut de vraies mesures structurelles comme une grille des loyers qui bloque les prix des kots, des plats à 2€ sains sur chaque campus, une diminution drastique du minerval, … (voir ici la position de Comac). Bref, un véritable plan contre la précarité étudiante, qui force aujourd'hui les étudiants à massivement recourir aux jobs.

Une réforme qui risque de faire pire que bien

Dans ce contexte, derrière toutes les bonnes intentions qu’affichent cette réforme, on peut vraiment s’interroger sur ses retombées.

En effet, une des premières conséquences de la réforme que la ministre veut mettre en place, c’est le creusement des inégalités pour les étudiants qui doivent travailler pendant l’année. Avec des périodes plus condensées ça va encore être plus difficile pour suivre et garder le rythme des cours. Concrètement, ça veut dire beaucoup moins de temps pour la vie en dehors des cours, pour faire du sport ou avoir des passe-temps, pour la vie associative sur les campus, pour l’engagement étudiant, pour le folklore,...

Dans la réforme il est aussi inclus qu’une plus grande flexibilité sera accordée aux établissements pour fixer les blocus. Cela veut dire pas de cadre clair pour les étudiants et potentiellement une semaine de blocus en moins puisque rien n’est fixé. Comme la FEF (Fédération des Etudiants Francophones) l’explique bien, avec la condensation du quadrimestre, il sera difficile de faire rentrer cours, blocus et examens. Il y a forcément quelque chose qui va devoir sauter. 

Valérie Glatigny parle aussi de mettre en place des évaluations continues tout au long des quadrimestres. Avec l’encadrement actuel, les professeurs ont déjà du mal dans certaines filières à préparer et corriger des examens autres que des QCM. Comment vont-ils avoir le temps de mettre en plus des évaluations qualitatives le long de l’année avec toujours aussi peu de personnel? Dans le cadre actuel, où trop peu de budget est prévu pour augmenter l’encadrement des étudiants, une telle demande n’est pas possible. En plus, des évaluations continues dans les conditions actuelles c’est encore creuser les inégalités pour les étudiants qui doivent jobber et qui auront du mal à les suivre. Et c’est sans parler du fait que les étudiants ont été peu consultés sur cette réforme du calendrier alors qu’ils sont bien les premiers concernés et que la ministre tente maintenant de passer cette mesure rapidement malgré l’avis défavorable de la FEF et de ses conseils étudiants

Enfin, le dernier gros problème que pose cette réforme c’est qu’elle n’a pas du tout été concertée avec le gouvernement flamand. Si elle est votée, cela voudra dire que le calendrier du supérieur francophone deviendrait complètement différent de celui du côté néerlandophone. D’abord, c’est un recul au niveau pédagogique pour la collaboration entre les universités du Nord et du Sud du pays. Que va-t'il se passer, par exemple pour tous les étudiants qui ont des cours communs entre l’ULB et la VUB? N’est-il pas absurde que deux universités, à dix minutes à pied l’une de l'autre, ne partagent plus le même calendrier et que les étudiants ne puissent plus profiter de la diversité des cours des deux établissements?

Puis, plus généralement, dans un contexte où la NV-A et le Vlaams Belang en Flandre poussent pour la scission du pays, chaque endroit où l’on sépare la Belgique est un argument de plus pour eux. Enfin, c'est un gros coup, aussi, pour la force du mouvement étudiant. Moins d’unité, c’est aussi synonyme de moins de force pour faire face aux mesures élitistes et au sous-financement de l'enseignement supérieur. Bref, moins d’unité entre francophones et néerlandophones, c’est un échec à tous les niveaux.

Les vraies raisons de cette réforme

Mais alors, on est en droit de se demander pourquoi la ministre opte pour cette réforme, si elle n’est pas bonne ? A l’approche des élections, c’est un moment charnière pour nos politiciens qui se demandent : “Qu’est-ce qu’on va retenir de ma législature ?”

Pour Glatigny, entre la gestion catastrophique de la crise du Covid dans les universités et hautes écoles, le peu d'aide amenée aux étudiants qui subissent l’inflation, son inaction face aux violences faites aux femmes sur les campus,… le tableau n’est pas glorieux. Alors, quoi de mieux qu’une grande réforme du calendrier du supérieur pour marquer les esprits ? Et par-dessus tout, la réforme qu’elle propose ne coûte rien au gouvernement. On comprend bien que Glatigny préfère mille fois mettre le focus du débat public sur les questions d’agenda qui ne lui coûtent rien plutôt que sur la précarité ou le sous-financement qui impliquent de mettre la main au portefeuille du gouvernement. Mais est-ce que, pour autant, les vrais problèmes de l’enseignement supérieur sont résolus… 

A première vue, on peut se dire que c’est un progrès : enfin de vrais congés à Noël et en été. Mais si on y regarde de plus près, cela implique deux choses très concrètes : des périodes de cours et d’examens beaucoup plus condensées et une deuxième session qui s'enchaîne directement après la première. Pour les étudiants qui travaillent (et on parle de la moitié d’entre eux) et pour qui c’est déjà difficile maintenant de suivre le rythme, comment vont-ils faire ? Ce n’est pas ce nouveau calendrier qui va leur permettre de mieux réussir. Le fond du problème reste qu’étudier coûte cher et que pour pouvoir étudier beaucoup d’étudiants doivent travailler et ont moins de temps à mettre dans leur cours. Le problème de l’encadrement n’est pas non plus réglé avec un nouveau calendrier. Appliquer un nouveau calendrier sans mettre plus d’investissements dans l’enseignement, c'est camoufler le problème avec une fausse bonne solution. Le résultat sera même élitiste : cette réforme va faire couler encore plus ceux qui galèrent déjà avec leur job et creuser encore plus les inégalités. Ce qu’il faut pour augmenter la réussite avant même de parler d’un nouveau calendrier c’est investir dans l’enseignement pour plus d’encadrement et que les étudiants n’aient plus à jobber autant pour payer leurs études. 

Faire tomber la réforme et se battre pour un enseignement public de qualité. 

L’organisation de la vie dans les universités et Hautes Écoles n’est pas un jeu. Et si nous avons vraiment besoin de changement dans la façon dont on organise les cours, si les étudiants ont en effet besoin de vraies vacances, ça ne peut pas être décidé à la va-vite et sans budget par une Ministre qui tente de redorer son image. Cette réforme aura un impact sur toutes les personnes qui mettent un pied sur les campus. On ne peut pas prendre une décision pareille à la légère sans réellement écouter les premiers concernés. Et si la ministre s'inquiétait sérieusement de la réussite des étudiants, elle commencerait d’abord par s’attaquer au manque de financement de nos universités et aux difficultés financières des étudiantes qui sont les deux premières raisons de leur échec. Sans ces deux conditions, une réforme comme la sienne, qui met encore plus de pression sur les étudiants et que la FEF qualifie déjà de “Calendrier du burn-out” va juste pénaliser encore plus les étudiants défavorisés. 

C’est la réalité de la politique élitiste de la ministre: ne pas aider les étudiants quand ils se retrouvent en difficulté (précarité, covid, inflation, manque d’encadrement,...) et durcir les conditions de réussite et le calendrier (réforme du décret paysage et maintenant du calendrier). Autrement dit, nous ne pourrons certainement pas compter sur elle pour arrêter ses réformes qui cassent les étudiants et encore moins pour débloquer enfin des budgets qui redonnent de l’air à l’enseignement supérieur. Cela ne sera possible qu’en se battant. contre cette réforme et les autres et pour un enseignement de qualité, démocratique, et accessible à toutes et à tous. Le prochain rendez-vous c’est la manifestation organisée par la FEF le 30 mars contre la réforme !

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