Justice de classe : les trois mots pour décrire le procès Reuzegom

Un travail d'intérêt général, une amende et un dédommagement : voilà le verdict prononcé à l'encontre des 18 membres du cercle étudiant Reuzegom responsables de la mort de Sanda Dia. On peut décrire ce procès en trois mots : justice de classe.

Pendant deux jours entiers, Sanda Dia a été saoulé, humilié et traité de manière inhumaine lors du baptême du cercle étudiant Reuzegom. On lui a uriné dessus, on l'a nourri de souris et de poissons mixés, et forcé à boire des litres d'alcool. Dans la nuit du 4 au 5 décembre, son kot a été saccagé et tous les robinets scellés, de sorte qu'il n'a pas pu boire d'eau. Le deuxième jour, à l'extérieur d'un chalet à Vorselaar, les choses ont mal tourné : Sanda et les autres étudiants bizutés ont été placés dans une fosse d’eau froide, où ils ont dû effectuer des épreuves répugnantes et boire des litres d'huile de poisson. Cette huile de poisson lui a finalement été fatale.

Les 18 membres de Reuzegom qui ont participé au bizutage dégradant de Sanda ne seront jugés que pour cette seconde journée. Le tribunal les a reconnus coupables d'homicide involontaire et de traitement dégradant. Ils écopent d’une peine de travail d'intérêt général d'une durée maximale de 300 heures, d’une amende d'un montant maximal de 400 euros, et des dommages et intérêts à hauteur de 15 000 euros et 8 000 euros pour le père et le frère de Sanda. Ils doivent se répartir entre eux le paiement de ce dernier montant. La sanction ne figurera pas dans leur casier judiciaire, de sorte que leurs futurs employeurs n'en auront pas connaissance. Pour les accusations les plus graves - administration de substances nocives, coups et blessures - ils sont innocentés.

Un traitement inégal dans une société inégale

Il ne fait aucun doute que les juges ont prononcé ce verdict en leur âme et conscience. Cependant, des manifestations spontanées ont eu lieu à Anvers, Leuven, Bruxelles et Gand pour protester contre cette réalité que beaucoup constatent : les accusés de Reuzegom s'en tirent à très, très bon compte. « Nous avons tous été très gentils avec les membres de Reuzegom », a déclaré Sven Mary, l'avocat du père de Sanda, juste après le verdict. « Sur une échelle de sévérité allant de 1 à 10, nous sommes à 1. C'est le scénario le plus modéré possible », a commenté le journaliste Douglas De Coninck.

Dans ce pays, il semble que les personnes peu fortunées ont moins de facilités que l'élite flamande. Un homme de la commune anversoise de Mol a été condamné à sept mois de prison effective pour avoir volé une paire de baskets, deux bouteilles de whisky et une bouteille de cognac, d'une valeur de 125 euros. À Veurne, une personne a été condamnée à 12 mois de prison pour avoir volé les offrandes de deux églises. Une femme de 70 ans a été condamnée à un mois de prison pour avoir volé des pommes.

On peut aussi faire la comparaison avec les grévistes de Delhaize. La police se rend sur leurs piquets accompagnée d’un huissier qui les menace d'une amende de 500 euros s'ils n'interrompent pas leur action. À Gand, le personnel en grève a même dû payer une astreinte de 1 000 euros par client qui ne pouvait pas entrer physiquement dans le magasin. Leur crime ? Ils s'opposent aux plans de franchisation de la multinationale, qui affectera gravement leurs salaires et leurs conditions de travail. Autre exemple : des militants de Greenpeace ont été détenus à Zeebrugge pendant 48 heures et sont poursuivis en justice pour avoir accroché pacifiquement et sans violence une banderole dans le terminal portuaire de la société gazière Fluxys, en signe de protestation contre les combustibles fossiles. Leur procès commencera le 7 juin.

Le mécanisme de la justice de classe

Que les juges du procès Reuzegom aient ou non rendu une décision délibérément clémente, ce n’est pas ce qui importe. La justice de classe qu’on observe ici est un mécanisme. Le père de Sanda, Ousmane Dia, l’explique lui-même : « J'ai le sentiment qu'une sorte de justice de classe est en jeu. Que les fils d'avocats, d'hommes d'affaires et d'un juge ont plus de poids que le fils d'un ouvrier immigré ».

Juste après le baptême, les membres de Reuzegom ont effacé presque toutes leurs traces : la fosse, la zone autour du chalet, et même le kot de Sanda ont été nettoyés. Ils ont pu immédiatement désigner les avocats les plus chers du pays pour les défendre. Cela leur a permis de retarder le procès le plus longtemps possible. Ainsi ils ont demandé une enquête sur les médecins de Sanda Dia à l'hôpital de Malle, alors que ces derniers avaient fait tout ce qu'ils pouvaient. Ils ont mis en doute l'impartialité du juge. Et comme l'un des membres de Reuzegom était le fils d'un juge anversois, l'affaire a dû être jugée à Hasselt. Tout cela leur a permis de faire traîner le procès en longueur.

Ils n'ont jamais fait de déclaration dans les médias pour exprimer leurs regrets, et sont restés aussi anonymes que possible. En fait, lors du verdict final, seuls huit des accusés se sont présentés. Les dix autres avaient apparemment autre chose de prévu, comme s'ils étaient déjà convaincus que le verdict allait leur être favorable. À un moment donné pendant le procès, l'un des avocats a affirmé que Sanda Dia avait consenti à ingérer l’huile de poisson et s'était donc lui-même empoisonné. Un tel scénario aurait permis aux membres de Reuzegom de se tirer d'affaire.

En outre, plusieurs questions cruciales n'ont jamais reçu de réponse. Avant de se rendre à Vorselaar, les étudiants ont été arrêtés par un professeur de médecine de la KU Leuven, qui a constaté que Sanda était mal en point à cause des épreuves de la veille. Ils lui ont menti en lui disant que le baptême était déjà terminé. Aucun d'entre eux n'a admis qui a menti. Ou encore, lequel d’entre eux a administré l’huile de poisson qui a tué Sanda ? Là non plus, aucun des accusés n'a cédé. Leurs déclarations à ce sujet étaient suffisamment vagues pour se protéger mutuellement. C'est pour cette raison que le tribunal ne les a pas reconnus coupables d'avoir administré des substances nocives, car aucun d'entre eux n’a jamais avoué. Cependant, c'était la question à laquelle la famille de Sanda espérait le plus une réponse : qui a fait quoi exactement pendant que Sanda a été torturé ?

Les gens qui n'ont pas les moyens de s'offrir des avocats coûteux et des procédures interminables de plusieurs dizaines de milliers d'euros ne peuvent pas se permettre une telle stratégie. Payer une amende n'est pas un problème pour ceux qui ont déjà beaucoup d'argent : cela rend les crimes « légaux » pour les riches, en quelque sorte. Le fait que la condamnation ne figurera pas dans le casier judiciaire des coupables signifie que le crime qu’ils ont commis ne sera pas un obstacle dans leur carrière.

Dans une société capitaliste, les inégalités et les mécanismes structurels définissent la vie des gens. Il en va de même pour la justice, dans la pratique. C'est aussi ce que dit Douglas De Coninck, qui a écrit un livre sur le baptême de Reuzegom : « Il semble que le système judiciaire belge autorise le fait que la famille de la victime garde le sentiment que la recherche de la vérité a été empêchée par une décision venue d'en haut. »

Imaginez qu'un jeune homme blanc ait été humilié et torturé par un groupe de jeunes issus de l'immigration et de familles ouvrières. Il ne fait aucun doute que la peine infligée aux auteurs aurait été beaucoup plus sévère.

Une élite flamande autoproclamée

Le comitard Alexander G. voulait faire de son année « une année brutale et dérangée, pour l'élite flamande que nous sommes ». Car c'est bien de cela qu'il s'agit à Reuzegom : former l'élite qui dirigera la Flandre de demain, sur la base d’une idéologie élitiste et raciste.

Des conversations WhatsApp de membres de Reuzegom ont révélé qu'ils avaient harcelé un mendiant africain en chantant la chanson « Handjes kappen, de Congo is van ons » [en français : coupons les petites mains, le Congo est à nous]. Un ancien membre a été photographié lors d'une fête en costume du Ku Klux Klan. Des témoins extérieurs ont rapporté que Sanda a été traité de n**** à plusieurs reprises à Reuzegom.

Dans son livre, le journaliste De Coninck constate qu'il existe un lien direct entre d’une part, le monde des affaires et d'autres professions prestigieuses, telles qu'avocat et juge, et d’autre part, le cercle Reuzegom. Plusieurs anciens membres sont aujourd'hui dirigeants de grandes entreprises. Les membres de Reuzegom eux-mêmes étaient tous issus de la même couche sociale supérieure de la société. Pour être admis, il fallait répondre à des questions, notamment concernant la longueur de son allée de garage. Les fêtes de Reuzegom étaient sponsorisées par des entreprises telles qu'ING, Exia, DVV Assurances ou la société immobilière Antigoon Invest. C'est probablement pour cette raison que Sanda voulait tant rejoindre Reuzegom : pour gravir les échelons dans une société où rien ne coule de source pour les enfants de la classe ouvrière et les personnes de couleur. Aux yeux de notre société, il n'était « que » le fils d'un ouvrier immigré sénégalais, qui travaillait dans une usine de DAF. C'est ce qu'a témoigné l'un de ses amis : « C’était son raisonnement : les parents de ces hommes ont des boulots de fous, ils sont dans un entre-soi. Sanda cherchait des contacts, car il savait que c’est comme ça que notre société fonctionne ».

« L'idée derrière Reuzegom est de dépouiller les gens de leur humanité, d'en faire des sortes de psychopathes dans un monde où des décisions très drastiques doivent être prises, qui se nourrit pleinement du capitalisme le plus irritant », explique De Coninck dans le podcast de Comac. « La plupart des membres de Reuzegom finissent dans la finance. Il s'agit de gens qui vont réfléchir à des questions du style : comment allons-nous restructurer Delhaize ? C'est à cela qu'ils sont préparés. [...] Ils se sont mutuellement formés à devenir inhumains. Apparemment, c'est aussi ce que le marché libre attend, ce genre de PDG. »

Les gens ont donc tout à fait raison de descendre dans la rue et d'exprimer leur indignation face à ce procès. Car il ne s'agit pas seulement d'un appel à la justice pour Sanda Dia. C'est lever le poing contre un système économique et la culture élitiste qu'il produit. Nous ne devons jamais autoriser une telle culture sur les campus universitaires.

Manifestations près de chez vous

Dans toutes les villes universitaires, des gens descendent dans la rue pour demander justice pour Sanda.

Pour savoir où se dérouleront les prochaines manifestations, cliquez ici :

Veux-tu changer le monde ?