Comment le coronavirus expose les contradictions du système (mais aussi les germes d'une autre société)

En ce moment même, beaucoup de personnes sont confinées chez elles. Cependant, la société ne s’est pas arrêtée pour autant. C’est même précisément en temps de crise qu’elle change vitesse grand V.  Chaque jour, nous réalisons un peu plus ce que la crise sanitaire nous apprend sur le monde et comment nous pourrions le changer. 

Flatten the curve

La plupart des gens savent plus ou moins ce qu’est notre défi aujourd’hui. Vous pouvez l'imaginer comme une courbe. L'axe des x (horizontal) représente le nombre de jours, de semaines ou de mois écoulés depuis la première infection du coronavirus. L'axe des y (vertical) correspond au nombre d'infections. Au milieu de tout cela, nous pouvons tracer une ligne horizontale, qui reflète la résilience de notre système de soins de santé. Plus il y a de personnes infectées en même temps et à court terme, moins nos hôpitaux et notre personnel de santé auront les moyens de gérer la crise. L'Italie et l'Espagne se trouvent actuellement dans cette situation. Résultat, nous sommes face à des drames : des patients atteints de cancer sont expulsés de l'hôpital, des jeunes atteints par le coronavirus deviennent prioritaires sur les personnes âgées pour l'assistance respiratoire ou encore des médecins sont forcés de faire le tri entre la vie et la mort de certains. Nous faisons tout pour éviter ce scénario. Moins il y a de lits disponibles en même temps, plus il y a de décès. C'est aussi simple que cela.

C'est pour cela que nous devons nous laver les mains, que nous devons respecter la distanciation sociale et que nos petits comportements quotidiens et la discipline collective sont si importants. Mais ça va bien plus loin que cela.

 

« Oh fuck »

Et si la solution n'était pas seulement une question de comportement individuel ? était-il possible de mieux gérer cette maladie ? était-il possible d'éviter cette crise ?

"Si nous sommes tous infectés, tout le monde sera immunisé", a déclaré Boris Johnson. "Nous devons construire une immunité de groupe", a déclaré le Premier ministre néerlandais Mark Rutte. "Pande-mietje" (traduisible par « pandé-mauviette), a déclaré Theo Francken à propos du virologue Marc Van Ranst. Jean-Marie Dedecker lui, nous confie que les femmes auront encore droit à ses bisous, qu’elles se rassurent donc.   "Un confinement n'est pas une bonne idée, c'est comme se tirer une balle dans le pied", a déclaré à son tour Pieter Timmermans, patron de la FEB, via Skype. Pour finir en beauté, nous avons eu droit à un "Oh fuck"[1] du poète Trump.

Greta Thunberg souligne qu’une crise se traite comme une crise. La crise actuelle ne fait pas exception à la règle. La procrastination en ce qui concerne les mesures à prendre dévoile deux réalismes bien distincts. Il y a ceux qui se basent sur la réalité et suivent la science. Et il y a ceux qui nient la réalité le plus longtemps possible afin de ne pas secouer l'économie. Il s’en suit que des secteurs non essentiels continuent à tourner comme si de rien n’était. Il a fallu attendre près de 5000 décès en Italie pour fermer ces secteurs. Par contre, chez nous le VOKA et la FEB appellent simplement à continuer le travail.

 

Un monde avec suffisamment de masques

En fait, dans un monde meilleur, nous aurions pu gérer l'épidémie. Si seulement il y avait eu plus de lits d'hôpitaux à l'heure actuelle, plus d'infirmières et de médecins, plus de masques et de respirateurs d’urgence. Cela fait trente ans qu’une colère blanche s’exprime dans notre pays, nous alertant du besoin criant d’un refinancement des soins de santé. Aller chercher ces ressources dans les milliards accumulés par les grandes entreprises, aucun gouvernement n'y a encore pensé. Notre pays a un ‘plan pandémie’ depuis 2006 dans lequel il est stipulé que nous devons avoir en notre possession 38 millions de masques de base et 6 millions de masques protégeant davantage. Aucun gouvernement n’a osé faire ces dépenses. Trop chères.  L'érosion des soins provoque aujourd'hui une situation catastrophique. Et cela, nous le payons en vies humaines.

En fait, dans un monde meilleur, nous aurions pu éviter beaucoup d’épidémies. Car, selon le biologiste évolutionniste Rob Wallace[2], l’extension des grandes exploitations agricoles libère des virus jusque-là enclavés par des environnement diversifiés et complexes. En pénétrant de plus en plus profondément dans la nature et en s'emparant de la biomasse, le Capital augmente les contacts avec des maladies qui se retrouvent dans des monocultures génétiques d’animaux à la réponse immunitaire affaiblie. C’est cela qui se retrouve dans notre assiette. Un incroyable carburant pour l’évolution de la virulence du virus. Un risque valable si cela permet d’assurer les profits des actionnaires. Après tout, les affaires sont les affaires, et ce ne sont pas les actionnaires qui devront payer l’addition en cas de catastrophe.

 

La Stratégie du choc

Ne jamais gaspiller une bonne crise. Tous ceux qui ont lu "La Stratégie du choc" de Naomi Klein le savent. Une catastrophe dans le coin ? Privatiser les infrastructures qui doivent être reconstruites. Une attaque terroriste ? Envoyez plus de soldats dans la rue pour garder tout le monde à l’œil et ne les laissez plus jamais partir. Certains vautours profitent également de la crise. Ainsi, des entreprises pharmaceutiques ont décuplé le prix des masques buccaux. De 6 euros à 70 euros pour un paquet de cinquante. De son côté, la Maison Blanche a proposé un milliard de dollars pour obtenir le brevet sur un éventuel vaccin allemand contre le coronavirus, avec comme objectif son utilisation exclusive pour les USA et la possibilité d’en tirer profit.

La crise est réelle. Et pas seulement en termes de santé. Toute personne qui surveille l’évolution des bourses peut s'en rendre compte. Il n'est même pas nécessaire d'en savoir beaucoup sur la macroéconomie pour deviner que les chiffres rouges ne signifient jamais rien de bon. Nous nous dirigeons manifestement vers une crise économique plus grave que 2008. En France, Macron met 300 milliards sur la table pour apporter un soutien économique. En Italie, il est soudain possible de nationaliser les compagnies aériennes. Aux États-Unis, Trump est prêt à dépenser un trillion de dollars. C'est plus que ce que le programme spatial, les autoroutes interétatiques américaines, le logement pour tous les sans-abris des États-Unis et l’éradication de la faim dans le monde coûteraient ensemble pendant dix ans. Tout est bon pour maintenir les marchés à flot.

Bien entendu, les travailleurs doivent être protégés et indemnisés. Bien entendu, les petits indépendants doivent être sauvés de la faillite. Bien sûr, nous devons éviter les licenciements massifs. Nous avons maintenant un gouvernement avec les pleins pouvoirs, soutenu par la quasi-totalité des partis traditionnels. Le parlement se met hors-jeu pour pouvoir réagir plus vite. Mais le nouveau gouvernement de Wilmès va-t-il utiliser les 16 milliards d'euros promis pour les bonnes personnes ?

Que se passera-t-il pour les intérimaires malades pendant plusieurs semaines mais virés pour cause d’absence de longue durée ? Qu’allons-nous faire pour les travailleurs des aéroports qui qui se démènent pour décharger masques et matériel médical afin qu’ils soient livrés au plus vite dans les hôpitaux ? Pensera-t-on alors aux travailleurs de chez Audi qui ont dû faire grève pour mettre à l’arrêt l’usine de Forest ?  Sous le couvert de l'"unité nationale", le gouvernement dépensera-t-il suffisamment d'argent pour ces personnes ? Et si nous investissons des millions dans les entreprises, qui payera la facture ? En 2008, lorsque les banques se sont effondrées, ce sont les travailleurs qui ont réglé la note. Qui payera cette fois-ci, c'est précisément l'objet de la lutte qui nous attend.

 

L’Homme n’est pas un hamster mais un super-coopérateur

L'homme n'est pas un loup pour l'homme. Bien que parfois on puisse le penser. Les infos aiment à les montrer, les égoïstes, les fêtards du lock-down, les hamsters qui accumulent des montagnes de nourriture. En réalité, c’est une minorité mais une minorité visible. 

De l’autre côté nous retrouvons une écrasante majorité de super-coopérateurs. Les enfants d'une école primaire de Réthy qui brandissaient des pancartes devant la fenêtre d'une maison de retraite : "On vous aime". Les milliers de personnes qui font exister le groupe Facebook "Répandre la solidarité, pas le virus !". Les bénévoles qui descendent dans la rue tous les jours pour faire des courses pour les personnes âgées. Les personnes qui s'occupent des enfants des facteurs, des caissiers, des médecins et des infirmières pendant qu'ils font tourner le monde ou combattent le virus en première ligne. Il y aussi les centaines de volontaires qui se présentent à Médecine pour le Peuple (La médecine gratuite de première ligne du PTB) pour fabriquer des masques, aider à l’accueil, nettoyer, téléphoner depuis chez soi ou donner un coup de main à l’administration. Les gens font tout ce qu'ils peuvent pour s'entraider. La solidarité reste bien plus contagieuse que le virus.

 

Un autre monde est possible (et vital !)

Et si nous vivions dans un monde où il y a en effet, suffisamment de lits d'hôpitaux ? Où les employés des secteurs non-essentiels sont autorisés à rester chez eux et où les autres sont protégés le mieux possible ? Où la crise est traitée par ceux qui en ont les moyens ? Où les crises n’escaladent pas jusqu’à l’incontrôlable à cause d’une insatiable soif de profit ? Où nous avons dans nos mains les moyens de construire la société démocratiquement ?

En temps de crise, c’est à celui qui criera ces idées le plus fort que revient la victoire. L'establishment ne gaspille pas une bonne crise. Ne gaspillons pas non plus. Des enfants de Réthy aux super-coopérateurs, des travailleurs de Audi aux médecins de Médecine Pour Le Peuple, tous nous montrent les germes d’un autre possible. Ils nous montrent qu'un système où nous avons le contrôle est accessible. Un monde où la santé passe avant le profit. Où l'homme - et la nature – passent avant le profit.

On va s'en sortir. Ce ne sera pas facile. Dans les jours, les semaines et les mois à venir passeront en fait des années. Mais ils détermineront également la nature de notre avenir. Prenez bien soin les uns des autres. Restez en contact. Prenez des initiatives. Informez-vous, organisez-vous et mobilisez-vous. Cette fois-ci, c’est même faisable depuis votre fauteuil devant votre ordinateur. Les graines pour une autre société que nous semons maintenant, germeront bientôt.

 

[1] https://joop.bnnvara.nl/kijk-nou/oh-fuck-beelden-van-trump-voor-en-na-zijn-corona-toespraak?fbclid=IwAR0apUg_MvoHVWr1R0I0XeloAMq601VS6HzHz3j6G5fPxKUeu6xkcwe9YYE

[2] https://lavamedia.be/fr/covid-19-lagro-industrie-est-prete-a-risquer-la-sante-du-monde/

Veux-tu changer le monde ?