Sortir de l’agro-business pour nous préserver des épidémies

Avec la destruction de l’environnement, les épidémies comme celle du coronavirus que nous connaissons risquent de se multiplier. L’agro-industrie qui provoque la déforestation favorise en effet la transmission de virus ou de bactéries depuis les animaux vers les êtres humains. Mais en changeant de modèle d’agriculture, il est possible de mieux nous protéger.

Le 29 mars dernier, Georges-Louis Bouchez déclarait sur Twitter à propos de la pandémie de coronavirus : « C’est une fatalité qui ne dit rien de notre système. » En résumé, cette pandémie, ce serait la faute à pas de chance. Nous avons le regret de devoir annoncer au président du MR que si nous regardons ce que la science nous dit, nous pouvons difficilement tenir de propos plus erronés que ceux-là. En effet, les études sur les épidémies ne datent pas d’hier et les scientifiques pointent du doigt depuis plusieurs années l'agro-industrie, entre autres responsable de la destruction de nos écosystèmes, comme facteur aggravant.

Il est vrai qu’on ne sait pas encore déterminer la cause exacte de la pandémie actuelle de coronavirus. Entre le pangolin, la chauve-souris ou encore le florilège de thèses complotistes (visant un jour un labo américain, l’autre un chinois), on navigue un peu à vue. Ce que nous savons cependant, c’est qu’il n’est pas question de fatalité. Notre système économique et ses conséquences sur l’environnement sont au contraire grandement responsables de la situation actuelle. Et sans changement majeur, des catastrophes similaires risquent de se multiplier.

La déforestation est l’un des problèmes majeurs dans la crise des écosystèmes (80 % de la biodiversité se trouve dans les forêts – voir cadre). Selon Global Forest Watch, une plateforme en ligne qui permet de suivre l’évolution des forêts du monde entier en temps réel, nous avons perdu 24,8 millions d’hectares de couverture arborée en 2018. Mais quelles sont les causes de cette déforestation ? Plusieurs facteurs sont en cause, comme l’activité minière et le commerce du bois ou du papier, mais ici nous allons nous attarder sur un point en particulier (et pas des moindres) : l’agriculture.

Les espaces naturels, une barrière contre les épidémies en péril
La nature regorge d’écosystèmes plus ou moins en équilibre. Dans ces systèmes, on retrouve un environnement donné (comme une montagne par exemple) avec toutes les espèces qui y vivent et s’y reproduisent (plantes, animaux, insectes, etc.). Quand on parle de biodiversité des écosystèmes, on fait référence à la quantité d’espèces différentes qui s’y trouvent. À titre d’exemple, on retrouve une grande biodiversité dans la forêt tropicale et, au contraire, une biodiversité bien plus faible sur la banquise (due aux conditions extrêmes). Évidemment, on retrouve aussi dans l’environnement un grand nombre d’agents pathogènes (virus, bactéries et parasites par exemple). Au sein des écosystèmes équilibrés et avec une grande biodiversité, ces agents pathogènes sont en quelque sorte « dilués » et « contrôlés » dans une nature foisonnante et sont peu dangereux. La biodiversité constitue donc une barrière naturelle face aux virus et aux bactéries et contient leur propagation vers les êtres humains. On comprend ainsi mieux en quoi une perte de biodiversité peut être dramatique !

Une production agricole désastreuse 

C’est dans les régions tropicales que c’est le plus frappant. En effet, on estime que l’activité agricole y est la cause de 73 % de la déforestation, dont 40 % seraient liés à l’agriculture industrielle selon l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Une partie non négligeable de cette surface est liée à l’élevage, soit directement pour y placer du bétail soit pour la production de soja, qui sert de nourriture pour le bétail. L’élevage met donc particulièrement nos forêts sous pression. Soulignons aussi que les méthodes d’élevage intensif comportent un risque en soi pour notre santé. Entasser des bêtes dotées d’une faible diversité génétique dans des espaces confinés crée un environnement idéal pour la prolifération de maladies. La course au profit du modèle agricole intensif nous mène droit dans le mur en privilégiant des pratiques qui visent le profit à court terme. On épuise les sols, ce qui pousse par la suite à étendre de plus en plus la surface agricole pour garder un rendement suffisant pour remplir les poches des actionnaires des grands groupes industriels. De plus, l'agrobusiness repousse de plus en plus les paysans les plus pauvres vers les forêts. De ce fait, il les pousse à participer à la déforestation pour pouvoir survivre (ce qui les place aussi en première ligne face aux agents pathogènes tels que virus, bactéries et parasites). En effet, 33 % de la déforestation aujourd’hui est liée à l’agriculture locale de subsistance. Ce sont donc aussi les grands groupes de l’agrobusiness qui sont à blâmer pour cette part de la déforestation, et certainement pas les victimes de leurs pratiques nuisibles, les petits paysans.

Et les épidémies dans tout ça ? 

Comme nous l’avons évoqué au début, la perte de biodiversité peut avoir des effets catastrophiques pour les êtres humains, notamment en favorisant la transmission de maladies. Le cas d’Ebola, un virus qui a sévèrement frappé l’Afrique de 2013 à 2015, l’illustre bien. La source de ce virus se trouve dans diverses espèces de chauves-souris. Ces animaux se trouvent dans des régions d’Afrique centrale et de l’Ouest qui subissent de plein fouet la déforestation. Dès lors, les chauves-souris sont forcées de trouver refuge dans des zones bien plus proches des humains comme des parcs, des fermes, des jardins, car leur habitat naturel est détruit. Le virus s’est ainsi transmis par la consommation de ces animaux ou celle d’aliments entrés en contact avec eux.

La déforestation est l’un des problèmes majeurs dans la crise des écosystèmes. (Photo Felipe WerneckIbama, Flickr)

La fragmentation et la destruction des forêts sur le globe augmentent la proximité des animaux avec les êtres humains. Les espèces doivent par conséquent s’adapter à un nouvel environnement, et beaucoup d’entre elles meurent faute d’y parvenir. La déforestation, en bouleversant les équilibres des écosystèmes, nous amène à entrer plus souvent en contact avec des animaux qui transportent des agents pathogènes. Ces derniers s’adaptent d’autant plus facilement à nos organismes que nous les côtoyons maintenant plus régulièrement. Les virus, bactéries et parasites sont inoffensifs dans leurs écosystèmes, car ils sont noyés dans un environnement très diversifié. Ils peuvent en revanche se révéler très dangereux une fois qu’ils sont adaptés aux êtres humains. 

Le lien entre déforestation et maladie peut également être constaté dans le cas du paludisme, aussi appelé malaria, qui se transmet par les moustiques. En effet, les terres déboisées sont davantage exposées aux rayons du soleil, ce qui entraîne le ruissellement des eaux et la formation de flaques. Ces dernières favorisent la reproduction des moustiques, car c’est dans l’eau que se développent leurs larves. Cela augmente donc la transmission du paludisme. 

Il est par ailleurs important de souligner le rôle du réchauffement climatique dans les épidémies et la perte de biodiversité. Celui-ci perturbe l’apport en ressources naturelles de certaines espèces, qui viennent à manquer de nourriture. Par conséquent, elles se retrouvent (encore une fois) à se rapprocher des humains pour leur survie. Les oiseaux, par exemple, se retrouvent forcés à migrer sur de plus longues distances, en général vers les pôles. Cela favorise également la transmission d’agents pathogènes, car ils sont alors amenés à croiser plus d’espèces qu'auparavant. De plus, les étés prolongés rendent le climat favorable à certains animaux, eux-mêmes vecteurs de maladies. Les moustiques qui transportent la malaria et la dengue pourraient par ce processus toucher encore plus de personnes à travers le monde parce qu’ils pourraient survivre sur une surface de notre globe de plus en plus étendue.

La perte de biodiversité ne crée pas de virus mais facilite grandement sa transmission comme le démontrent ces deux cas. Même si la science devra encore en déterminer les causes précises, la pandémie de coronavirus que nous vivons actuellement ne fait sans doute pas exception à la règle. 

Enfin, la recherche a démontré qu’une forte biodiversité pouvait aider à limiter le changement climatique. Et dans un même temps, la biodiversité est impactée par le réchauffement du climat. C’est donc un cercle vicieux dont il faut sortir en combattant ces deux crises en même temps, et ce, notamment pour éviter d’autres pandémies. Cela devra inévitablement se faire en étroite collaboration avec les pays du Sud, confrontés au problème de manière bien plus récurrente et moins outillés que les pays industrialisés pour y faire face.

Produire autrement

Les logiques capitalistes de l’agrobusiness, qui consistent à essayer d’accaparer le marché alimentaire en volant les terres et les ressources des pays plus faibles, sont dangereuses pour la santé publique. Elles produisent les conditions d’une multiplication des épidémies, voire des pandémies, et échouent lamentablement à produire durablement une nourriture de qualité. Dans un article paru dans la revue Lava, le biologiste Rob Wallace déclarait récemment, en parlant du modèle agricole capitaliste, qu’« on ne pourrait pas concevoir un meilleur système pour produire des maladies mortelles ». Mais évidemment pour les actionnaires, le jeu en vaut la chandelle puisqu’il assure des profits à court terme. De plus, soulignons que nos systèmes économiques engendrent un gaspillage important de la production alimentaire. Olivier De Schutter (ex-rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation) souligne que nous produisons actuellement deux fois la quantité d’aliments nécessaire pour nourrir la population mondiale. En d’autres termes, nous gaspillons chaque année la moitié de la nourriture produite, et ce, alors qu’environ 11 % de la population souffre de malnutrition selon l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Certains pays possèdent de la nourriture outre mesure tandis que d’autres font face à des famines sans précédent, car la production alimentaire est inéquitablement répartie sur le plan mondial.

Il est donc certain que nous devons revoir de fond en comble notre modèle agricole tant au niveau technique qu’au niveau de la quantité produite. Nous devons faire de l’agriculture de façon plus diversifiée et équilibrée. La production doit être diminuée afin d’être plus adaptée aux besoins et de contrer le gaspillage colossal qui a lieu chaque année. Repenser ce modèle nécessitera de pousser les alternatives agroécologiques soutenues par les recherches scientifiques sur le fonctionnement des écosystèmes. En plus du bénéfice pour notre santé, par la préservation d’une barrière naturelle contre les agents pathogènes, ce changement constituera un pas de plus dans la lutte contre le réchauffement climatique et la crise de la biodiversité. En parallèle, il est essentiel de garantir les droits des petits paysans face à la violence de l’agrobusiness.

Nous devons décider démocratiquement comment nous produisons notre nourriture et en quelle quantité. Nous ne pouvons pas laisser ces questions entre les mains de quelques actionnaires, car notre alimentation et notre santé en dépendent. C’est d’une réelle planification écologique et sociale dont nous avons urgemment besoin. Il faut remplacer l’obsession du rendement à court terme par une vision locale, durable, écologique et plus égalitaire de l’agriculture.

Le changement est déjà en cours. En effet, des paysans partout sur le globe luttent pour leur indépendance face aux grands groupes et réinventent aujourd’hui déjà leur manière de produire. Par l’agroécologie ou l’agroforesterie, entre autres, ils produisent une nourriture de qualité dans un plus grand respect de l’environnement. C’est sans parler de tous ces militants qui défendent les espaces naturels, de l’Ardenne belge aux forêts tropicales du Brésil. En parallèle, la science pourrait nous permettre de bien mieux contrôler les milieux qui représentent des risques élevés de transmission de virus, bactéries ou parasites depuis les animaux vers les êtres humains. Bien loin d’être condamnés à subir passivement ce type de crise sanitaire, nous avons en réalité de multiples cartes en main pour éviter un maximum que cela ne se reproduise. N’en déplaise à Georges-Louis Bouchez, les épidémies sont bien loin d’être une fatalité. En ces temps de crise, la nécessité d’un autre monde saute aux yeux. Organisons-nous pour le construire.


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