Le gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles (MR & Les Engagés) avait promis de refinancer l'enseignement supérieur. C’était un soulagement pour les universités, les hautes écoles et les étudiants. Ce refinancement, il est absolument nécessaire tant les besoins sont énormes. Pourtant, il a fallu seulement deux mois pour que le gouvernement revienne sur sa promesse et décide de faire 6,5 millions d'économies sur l’enveloppe des universités, Hautes Écoles et ESA. Mais pas de problème, la ministre de l’enseignement supérieur Elisabeth Degryse (Les Engagés) a une solution ! Faire payer les étudiants étrangers hors Union Européenne…
En effet, la ministre veut faire passer leurs frais d’inscriptions de maximum 2505 € à 4175 €. Et ça en plus des 835€ de minerval. Très concrètement, des étudiants du Maroc, des Philippines ou bien d’Algérie devront maintenant débourser 50% à 300% en plus pour pouvoir étudier en Belgique. Et ce n’est pas la seule chose qui va impacter négativement les étudiants étrangers. Les équivalences de diplômes (qui sont obligatoires pour étudier ici si vous avez un diplôme du secondaire dans un autre pays) passeront de 200€ à 400€ et cette fois-ci peu importe le pays.
En parallèle, le futur gouvernement Arizona, qui comprendra aussi le MR et Les Engagés, prévoit de couper dans le budget de la coopération académique. Ce budget permet notamment à des doctorants et jeunes chercheurs et chercheuses des pays du Sud de venir travailler ici en Belgique. En coupant ces aides, on risque de perdre ces partenariats et cette richesse.
Avec Comac, nous nous opposons à cette vision renfermée de notre enseignement supérieur et alertons : s’en prendre aux étudiants étrangers, c’est s’en prendre à nous toutes et tous.
Un. S’en prendre aux étudiants étrangers, c’est s’en prendre à nous toutes et tous.
Ne soyons pas naïfs. Cette attaque contre les étudiants étrangers, c’est un danger qui concerne tous les étudiants. C’est une attaque idéologique contre l’idée que l’enseignement devrait être universellement gratuit. C’est pourtant ce à quoi la Belgique s’est engagée en ratifiant le Pacte de New York qui vise à rendre l’enseignement supérieur “accessible à tous notamment par l’instauration progressive de la gratuité”. Or aujourd’hui, la ministre de l’enseignement supérieur revient sur ce droit. En effet, quand on commence à dire qu’une situation budgétaire peut remettre en cause l’accessibilité des études, on ouvre la boîte de Pandore. Étudier est un droit. Point.
Elisabeth Degryse a d’ailleurs exprimé le fond de sa pensée devant le parlement en expliquant qu’un enseignement abordable était un signe de mauvaise qualité : “Le prix de notre enseignement est parfois vu comme risible et comme identifiant le fait que notre enseignement n’est pas de qualité. Alors évidemment il n’y a pas que le coût qui définit la qualité mais ça y contribue.” Ah bon? La ministre a-t-elle une preuve quand elle avance cet argument? Rappelons que l’enseignement supérieur au Danemark est gratuit pour les étudiants danois et européens et personne ne remet en question sa qualité, au contraire. Le lien entre qualité et coût des études n’est pas mécanique et ne sert qu’à préparer les esprits pour des futures attaques encore plus fortes sur l’accessibilité de l’enseignement supérieur et le minerval.
Commencer par les étudiants étrangers c’est un cheval de Troie pour la suite. C’est un peu ce qu’on voit depuis 2006 en Angleterre où le minerval des étudiants étrangers et des résidents anglais n’a connu que des augmentations. Durant toute cette période, le gouvernement a fait monter le minerval des étudiants étrangers de manière spectaculaire pour soi-disant combler le budget des universités. Mais en même temps, pour les anglais eux-même, le minerval est passé de 1000£ à 3000£ en 2006 pour arriver jusqu’à plus de 9400£ (=11.300€) aujourd’hui. Quand on commence à faire payer les étudiants pour boucher les trous au lieu d’investir structurellement, c’est un jeu sans fin.
Aujourd’hui, on commence par les étudiants hors Union Européenne, mais rien n’empêche que demain on s’en prenne aux résidents de l’UE et puis finalement aux étudiants belges. C’est pour ça que dès les premières attaques nous devons faire front, ensemble.
Deux. Non, madame la ministre, les étudiants étrangers ne sont pas tous riches…
L’idée derrière cette augmentation des frais d’inscription, c’est que les étudiants hors Union Européenne (HUE) qui viendraient étudier en Belgique seraient tous issus de l’élite économique de leur pays d’origine. Cet argument, qui ne s’appuie sur aucun chiffre concret masque la réalité : il y a des profils hétérogènes chez les étudiants étrangers. Une étudiante marocaine en Belgique explique : “ça va tous nous impacter négativement sachant que le préjugé que tous les étudiants internationaux roulent sur l’or est objectivement faux et discriminant et il y a des milliers d’étudiants internationaux.”
Une autre explique : “Je constate déjà les nombreuses difficultés financières liées au coût de la vie, notamment pour payer le logement, la nourriture et les autres besoins essentiels. Avec l'augmentation des frais de minerval, la situation devient encore plus compliquée [...]. Cette hausse ne fait qu'accentuer les inégalités et met une pression supplémentaire sur les étudiants étrangers.”
Certains pays dits “en voie de développement” selon le gouvernement comme la République Démocratique du Congo ou le Cameroun se trouvent sur une liste des exceptions. Pour ces étudiants là, heureusement, les frais d’inscriptions ne vont pas augmenter. Mais ces exceptions ne concernent pas toute une série de pays dont le PIB par habitant est pourtant incomparablement plus faible que celui de la Belgique. C’est facile à voir : ici, le salaire minimum est de 2070€. Au Maroc, c’est 300€, en Algérie 142€, aux Philippines de 10€. Bref, être dans la classe moyenne dans certains pays du Sud ne veut pas dire qu’une famille sait forcément payer plus de 5.000€ par an pour permettre à ses enfants d’étudier à l’étranger sans compter les frais de de logement, de trajets et autres qui sont aussi très élevés.
Par ailleurs, l’année dernière, la PLADE (Plateforme de Lutte pour l'Amélioration des Droits des Étudiant.e.s étranger.ère.s) alertait sur les réalités et les difficultés rencontrées par les étudiants étrangers. Leur combat montre que faire croire que la vie est rose pour les étudiants étrangers et qu’ils ne subissent pas de problèmes spécifiques en plus des mêmes problèmes que tous les étudiants en Belgique, c’est au mieux un manque de connaissance du terrain, au pire beaucoup de cynisme. Au lecteur de choisir. Avec cette mesure la ministre Degryse condamne des jeunes à ne plus pouvoir suivre des études en Belgique.
Trois. Les étudiants étrangers sont une richesse pour la Belgique.
Faire passer les étudiants étrangers comme des “coûts” pour la société n’a pas vraiment de sens. C’est une vision comptable et court-termiste. Dans les faits, l’apport des étudiants étrangers à la Belgique est grand. Certains d’entre eux et elles vont rester en Belgique après leurs études et participer à son économie. Et pour ceux qui rentreraient, les liens qu’ils auront construits en Belgique contribueront aussi au développement de son pays.
Dans une carte blanche destinée à préserver les subventions à la coopération académique avec notamment les pays du Sud, l’ARES (Académie de recherche de l’enseignement supérieur) explique bien cette réalité :
“Davantage qu’une dépense, la coopération académique est un investissement dans le capital humain. Elle favorise le dialogue interculturel, contribue à l’internationalisation des établissements d’enseignement supérieur et au développement d’un réseau international d’alumni qui est un puissant outil de diplomatie scientifique, politique, économique. Elle participe ainsi au rayonnement de la Belgique dans le monde. [...] Enfin, la coopération académique promeut des valeurs comme la liberté de chercher et d’enseigner, l’autonomie des individus et des institutions, encourage les débats et les échanges régionaux et internationaux et contribue ainsi, en Belgique comme dans les pays partenaires de la Coopération au développement, à des sociétés démocratiques et plurielles.”
Finalement le seul signal que la Belgique envoie en empêchant aux étudiants et jeunes chercheurs étrangers de venir, c’est celui d’un pays qui se referme sur lui-même. Peut-être que dans l’immédiat, ça permet de cocher une case de la politique austéritaire du gouvernement MR - Les Engagés mais dans les années qui viennent, ça participera uniquement à isoler la Belgique sur le plan international.
Quatre. La Belgique et l’Occident ont une Histoire. Ne l’oublions pas.
La Belgique et les pays d’Europe occidentale ont une lourde responsabilité dans le déséquilibre Nord-Sud. La colonisation du Congo par la Belgique a pris fin en 1960, celle du Maroc en 1956, celle de l’Algérie en 1962. Ce n’était même pas il y a 100 ans que des pays se débarrassaient des puissances coloniales et pouvaient emprunter leurs propres voies de développement. Et encore aujourd’hui, le néocolonialisme est un obstacle au plein développement de la capacité de ces pays. Les multinationales occidentales font beaucoup d’argent sur le dos des populations du Sud et empêchent par la même occasion le développement plein et entier de ces pays.
Autrement dit, les pays occidentaux ont un rôle décisif dans l’importance du déséquilibre Nord - Sud qui existe aujourd’hui. Empêcher les étudiants des pays du Sud de venir apprendre ici, ce n’est qu’une façon de plus d'entretenir ces déséquilibres. Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose que les gouvernements de droite préparent. Et c’est exactement pareil quand le futur gouvernement Arizona annonce vouloir couper dans les aides au développement. Notre responsabilité historique est lourde et nous avons maintenant le devoir de ne pas entraver le Sud Global dans son développement. Laisser une place aux jeunes qui veulent tenter l’aventure en Belgique en fait partie.
Cinq. Le sous-financement est un problème sérieux et monter les étudiants les uns contre les autres ne va rien résoudre.
Diviser pour mieux régner. Faire croire que les étudiants étrangers sont le problème du sous-financement de l’enseignement supérieur. Attirer l’attention là-dessus plutôt que sur les milliardaires de plus en plus nombreux dans notre pays, sur la fraude fiscale, sur les multinationales qui ne paient presque pas d’impôts. C’est indigne.
L’enseignement supérieur a cruellement besoin d’un refinancement. Il y a besoin d'argent pour que chaque étudiant ait une place assise. Il y a besoin d'argent pour encadrer correctement les étudiants. Il y a besoin d’argent pour que tout le monde ait une place en TP. Il y a besoin d'argent pour lutter efficacement contre la précarité étudiante et la sélection sociale. Il y a besoin d’argent pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles.
En 2018 déjà, les recteurs francophones demandaient un refinancement de 150 millions pour 2024 et un refinancement de 650 millions à l’horizon 2030. Le problème est structurel et est connu depuis longtemps. Faire des coupes budgétaires et aller gratter des miettes sur le dos des étudiants étrangers ne va absolument pas résoudre la situation. Au lieu d’apporter des vraies solutions aux problèmes des étudiants, le gouvernement MR - les Engagés à décider de s’en prendre aux étudiants qui galèrent déjà pour faire des coupes budgétaires. Ces mêmes partis parlent toujours d’avoir du courage budgétaire. Mais Le vrai courage, ce n’est pas de retirer 6,5 millions d’euros de l’enveloppe destinée aux étudiants modestes. Le vrai courage, ce n’est pas d’aller taxer les étudiants étrangers. Non, le vrai courage, c’est d’aller demander des comptes à ceux qui ont déjà tout. #TaxTheRich.
Et le mouvement étudiant peut gagner. Car ce n’est pas la première fois que les gouvernements essaient de faire payer les étudiants étrangers. Déjà en 2017, le mouvement étudiant s’était battu contre les mêmes tentatives d’augmentation du minerval. C’était un grand combat mené par la mobilisation de plusieurs organisations et la prise de position de nombreux acteurs académiques. Ça avait même conduit au blocage des rectorat de l’ULB et de l’UCL et cette mobilisation avait fait reculer les attaques. Ce qui était possible hier est encore possible aujourd’hui.
Avec Comac nous refusons cette tentative de division des étudiants entre eux et nous continuons le combat pour un enseignement de qualité réellement accessible à toutes et à tous.