La précarité étudiante est un problème de société. Pour y pallier, 80% des étudiants demandent une diminution du minerval, la ministre et la majorité PS-MR-Ecolo s’y opposent et répondent qu’il vaut mieux des « mesures ciblées ». Mais quelle vision se cache derrière cet argument maintes fois répété par Valérie Glatigny ?
La précarité étudiante est un problème de longue date. Les dernières grandes mesures contre la précarité étudiante datent de 2010. Le mouvement étudiant d’alors et ses mobilisations “ResPact” et “Sauvez Wendy” ont gagné le gel du minerval et la gratuité pour les étudiants boursiers. Depuis, peu de choses ont été faites.
Alors qu’en 2019 déjà, 36% des étudiants présentaient au moins un aspect de fragilité économique (loyer, minerval, santé...) [1], l’actuelle ministre de l’enseignement supérieur Valérie Glatigny a, dès le début de son mandat, annoncé des mesures limitées pour y faire face : “on va amender le décret paysage, on va mieux informer les étudiants sur les aides disponibles et on va simplifier les procédures. Je me suis également engagée à travailler sur le montant des aides. J’ai également pris l’engagement clair de ne pas augmenter le prix du minerval [...]. Pour le logement étudiant, je souhaite travailler avec les ministres de la Région bruxelloise et de la Région wallonne [2].” Il n’y avait donc pas de plan clair et encore moins à la hauteur du problème. A l’écouter, on devrait déjà s’estimer heureux que le coût des études n’augmente pas.
Pourtant, la précarité étudiante prend de plus en plus de place dans le débat public. Les cris d’alarmes de la Fédération des étudiant.e.s francophones (FEF) et de plusieurs organisations étudiantes, ainsi que les nombreuses mobilisations étudiantes des dernières semaines font de plus en plus écho dans l’opinion publique.
La crise sanitaire a en effet aggravé et mis en lumière la précarité étudiante. 90.000 jobs étudiants ont disparu et 80.000 étudiants, soit à peu près un sur trois, vivent aujourd’hui dans une situation de précarité [3]. Dans les faits, cela donne des situations comme celle de Farah, étudiante : “Je dois me priver de presque tout. J’ai l’impression que je survis plutôt que de vivre. Je pense plus à comment finir les fins de mois qu’à comment réussir mon année scolaire. Mon budget est mon inquiétude de tous les jours. Je me demande si je pourrai manger lors de la dernière semaine du mois.” Ou encore celle de Clémence : “Je travaillais dans l’horeca pour financer mes études. Avec la crise et la fermeture des restaurants, j’ai perdu mon job. Depuis, je cherche, mais je ne trouve rien... Ça fait des semaines que je ne mange que de la soupe, une ou deux fois par jour.”
Si la réponse de la ministre au début de son mandat était déjà vague et marquée par son manque d’ambition, la crise sanitaire a encore aggravé la situation. Pourtant, les étudiants ont un avis et des propositions. Surtout, ils réclament des actes.
Pour une réduction du minerval!
Dans une enquête qui a rassemblé plus de 5000 réponses, la FEF a interrogé les étudiants sur les mesures les plus urgentes à mettre en place pour combattre ce phénomène. 93% d'entre eux estiment important un plan contre la précarité étudiante. Pour 80%, la première priorité est la réduction du minerval.
L’ARES, l’organe chargé d’étudier les futures orientations de l’enseignement supérieur, s’est notamment penché sur cette proposition. Dans un avis récent [4], l’ARES estime que supprimer définitivement le minerval coûterait par an 77.3 millions d’euros à la Fédération Wallonie-Bruxelles, soit une augmentation de 5.5% du budget actuel consacré à l’enseignement supérieur. L'ARES conclut que l’argent nécessaire pour la lutte contre la précarité ne pourra venir ni des universités, ni des 50 millions de refinancement déjà promis par le gouvernement : “La poursuite du refinancement de l’enseignement supérieur est nécessaire”.
C’est dans ce cadre que le Parti du Travail de Belgique (PTB) a défendu une proposition de décret visant à réduire le minerval à 175€ pour tous les étudiants au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais les réactions de la ministre et de PS-MR-Ecolo à cette proposition sont loin d’être chaleureuses. Valérie Glatigny déclarait notamment en commission : « Notre gouvernement lutte contre la précarité étudiante de manière ciblée, en soutenant prioritairement les étudiants les plus impactés. C’est pourquoi cette proposition m’apparaît déraisonnable à l’heure où chaque denier compte pour soutenir nos étudiants et mal conçue parce que les moyens alloués ne servent pas à aider le public le plus fragile » [5]. Si dans un second temps, on verra pourquoi ce genre de raisonnement est lié à sa vision élitiste de l’enseignement supérieur, il est important de rappeler certains faits. Non, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne lutte pas du tout suffisamment contre la précarité étudiante. Alors que 80.000 étudiants rencontrent des difficultés financières, Valérie Glatigny n’a débloqué que 15 millions d’euros pendant la crise (soit ± 180€ par étudiant précaire sur une période de 13 mois, même pas un loyer) et même les 3 millions supplémentaires par an gagnés par la FEF grâce aux récentes mobilisations ne changeront pas la situation durablement. Si le plan de la ministre consiste en des mesures ciblées sur les étudiants précaires, on les attend encore.
Plus surprenante par contre est l’opposition du PS et d’Ecolo à la proposition de réduction du minerval, alors qu’ils défendaient l’inverse il y a peu encore. Dans son programme électoral de 2019, le PS appelle à “Renforcer l’accessibilité des études supérieures : diminution du minerval pour tous les étudiants”. Ecolo s'est exprimé pour le respect du Pacte de New-York qui vise à rendre l’enseignement supérieur “accessible à tous notamment par l’instauration progressive de la gratuité.” [6] Mais lors des débats en commission, Joëlle Kapompolé (PS) défendait : « L’idée est de travailler sur des mesures qui permettront de toucher ces 32 % de façon plus ciblée. Une diminution linéaire du minerval ne tient pas compte des réalités vécues par les étudiants ». Tandis que chez Ecolo, la critique se faisait encore plus forte par Manu Disabato : « Les propositions de la Déclaration de politique communautaire permettent d’améliorer de manière ciblée l’accès à l’enseignement. Égalité n’est pas équité. […] Avec le PTB, chaque fois qu’il y a un chien avec un chapeau qui passe et qui demande de l’argent, vous dites qu’il faut lui donner de l’argent. A un moment, il y a une limite à ça. » [7] Les étudiants apprécieront la comparaison...
Pour un enseignement de qualité pour tous ?
Derrière ce débat sur la réduction du minerval se cache en fait un débat de fond sur l’enseignement supérieur. Faut-il lutter pour l’égalité et l’accès pour tous ou se limiter à aider les plus défavorisés ?
Sur cette question, deux sorties de la ministre Glatigny symbolisent sa vision mieux qu’une longue explication. Lors de la 1ère vague, alors même que 1 étudiant sur 4 ne possède pas d’endroit calme pour étudier chez lui et que des milliers d’étudiants commencent à perdre leur job nécessaire pour financer leurs études, elle n’a cessé dire aux étudiants de “garder le rythme”, alors même que les conditions n’y étaient pas du tout favorables. Un peu plus tard, lorsque, à l’approche des examens du premier confinement (juin 2020), elle déclarait dans une interview que “L’université c’est l’école de la vie, tout le monde ne gagne pas à la fin” [8], sa conception de l’accès à l’enseignement supérieur devenait on ne peut plus claire.
Dans ce débat, la réduction du minerval est pourtant une réponse nécessaire. Premièrement, parce que même s’il aide beaucoup étudiants chaque jour, le modèle qui existe actuellement est un véritable labyrinthe administratif dans lequel on demande aux étudiants déjà en difficulté de faire toutes les démarches. Avec les CPAS, les services sociaux des établissements, l’administration des bourses. Et ce tout en sachant qu’un peu plus de la moitié des étudiants connaissent leurs droits d’accès aux bourses et aides sociales [9]. A cela, il faut aussi ajouter toute la stigmatisation que comportent ce genre de procédures et on comprend rapidement que pour les étudiants précaires, c’est la double peine : la précarité et un parcours du combattant administratif.
Deuxièmement et surtout, dans ces temps difficiles, il est utile de le rappeler : l’enseignement est un droit et pas un privilège. Tout le monde devrait y avoir accès, peu importe d’où il ou elle vient. Un enseignement gratuit, c’est une priorité pour son accessibilité. Si l’on veut (et l'on doit !) faire participer les plus fortunés de notre société à l’enseignement supérieur, faisons le via le levier de la fiscalité, pas par un droit d’inscription arbitraire. Voir certains partis aujourd’hui dire qu’il faut cibler absolument les étudiants précaires mais refuser au fédéral, là où se jouent les budgets, un véritable impôt sur la fortune ou de taxes sur les multinationales, ça laisse quand même un goût amer. Le meilleur moyen d’aider les étudiants précaires, ne serait-ce pas justement de proposer un enseignement résolument gratuit, payé par une fiscalité juste où tout le monde contribue à hauteur de ses moyens ? Et est-ce que ce n’est pas ce genre de modèle que devraient défendre des partis progressistes ?
Le débat autour de la gratuité du minerval n’est pas qu’un débat autour d’une mesure et de ce qu’elle coûte mais bien un débat de société : quel enseignement supérieur veut-on ? Et quelle place les étudiants y occupent-ils ? Valérie Glatigny, depuis le début de son mandat, accepte la vision libérale américaine de l’étudiant : la précarité existe et on peut essayer d’y trouver des solutions de fortune comme des aides ponctuelles ou des banques alimentaires [10] mais on ne va pas activement la combattre, elle et ses causes. Dans cette même vision, les étudiants se retrouvent livrés à eux-mêmes devant les études supérieures et ‘que le meilleur gagne’. C’est en substance ce que la ministre a dit lorsqu'elle déclarait “l’enseignement supérieur est une école de la vie où tout le monde ne gagne pas à la fin”. Pourtant, un autre enseignement est possible. Un enseignement de qualité pour tous, qui pousse tous les étudiants à réussir en commençant par ne laisser aucune chance à la précarité d’exister.
C’est pour cette vision de l’enseignement supérieur que nous continuerons à lutter.
[1] Etude BDO
[2] La Dernière Heure, 2 décembre 2019 et La Libre Belgique, 21 novembre 2019
[3] https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_la-precarite-frappe-80-000-etudiants-francophones?id=10688373
[4] https://drive.google.com/file/d/1AMjcSKq9I_l3T28v4v8aYZ2kRnrs90W5/view
[5] https://www.youtube.com/watch?v=Uzi_DmZwONc
[6] https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/cescr.aspx
[7] https://www.youtube.com/watch?v=Uzi_DmZwONc
[8] La Libre Belgique, 23 Mai 2020
[9] Etude BDO
[10] La Libre Belgique, 04 décembre 2020
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